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hasard, qui peut les favoriser demain, comme hier il favorisait autrui, le secret d’un succès qui les surprend. Si l’on ne peut nier que le hasard figure pour une certaine part dans les événemens de la vie, qu’une rencontre fortuite, une circonstance imprévue, un accident, en puissent modifier le cours et exercer parfois une influence déterminante, tout au moins en apparence, sur la destinée humaine, le plus souvent ce prétendu hasard ne fait que révéler l’homme à lui-même, que mettre en relief des qualités ou des défauts inhérens à sa propre nature, qu’avancer ou retarder l’heure de leur manifestation, que déterminer une orientation qui se produirait autrement ou plus tard, mais aboutirait à des conséquences analogues.

Ce que l’on appelle le hasard, et qui n’est qu’un concours de circonstances heureuses ou fâcheuses, n’a d’autre valeur, à tout prendre, que celle que notre individualité lui assigne, d’autre influence que celle qui est d’accord avec notre propre penchant, d’autres conséquences que celles que déterminent nos facultés intellectuelles et morales. L’homme coudoie le hasard à chaque pas, mais il n’en dégage que ce qui est en lui-même à l’état latent; c’est lui qui le pétrit, le façonne à sa guise ; il lui impose sa loi, il ne la subit pas.

Le mineur heureux qui, d’un coup de pioche, met au jour une fortune sur les rives du Sacramento ou dans les placers de Ballaarat, le roi du pétrole auquel un accident révéla l’existence des nappes d’huile de la Pensylvanie et qui, après avoir semé les millions sous ses pas, finit garçon de salle dans un cabaret de bas étage, celui qu’enrichit la découverte inattendue d’un trésor enfoui ou la succession inespérée d’un collatéral inconnu, peuvent devoir leur brusque changement de sort à un caprice apparent du hasard, mais il dépend d’eux, et non de lui, que cet événement fortuit exerce sur leur destinée une influence heureuse ou malheureuse; il dépend d’eux, et non de lui, de dissiper ou de conserver cette fortune, d’en faire un utile ou fâcheux emploi. La véritable valeur de l’homme gît en lui-même ; le hasard n’a jamais été un obstacle insurmontable au succès de ceux assez forts pour le conquérir, et si parfois il a paru pousser au premier rang des incapables, il n’a jamais pu les y maintenir.

Par un singulier effet et d’optique chez les uns, par une inintelligente ou envieuse appréciation des faits chez les autres, on a souvent attribué au hasard des réussites éclatantes dues à l’observation patiente, à la recherche obstinée. Plus d’un inventeur heureux a vu nier ses efforts, et assigner à la chance un résultat longtemps poursuivi, laborieusement obtenu. Si ce prétendu hasard l’a mis