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sans cesse et où ils reviennent toujours, parce que leur double nature fait qu’elle est un souhait éternel, éternellement irréalisable, l’église le fait vivre, le soutient, l’empêche de languir, en sauve la continuité dans l’espèce humaine. — Et c’est pour cela qu’elle est constituée monarchiquement. Nous savons assez que d’une délibération ne peut sortir une pensée, mais un expédient ; qu’une assemblée, quand elle n’est pas une simple confusion d’idées, n’est qu’une addition de velléités à peu près semblables, soustraction faite de beaucoup d’autres. Il n’y a pas là même l’image de l’unité. C’est pour cela que, comme l’état c’est le roi, seulement éclairé par les grands, l’église c’est le pape, seulement éclairé par les évêques ; et que, comme l’autorité royale, puissance matérielle, est l’absolutisme, l’autorité du pape, puissance spirituelle, ne peut pas être autre chose que l’infaillibilité. — Et maintenant tout se tient. Le monde soumis au mal, livré à l’injustice en punition de ses fautes, trouve une première organisation conforme à sa nature dans les sociétés, qui sont des machines d’injustice les unes contre les autres, mais réalisent au moins une image de la justice, c’est-à-dire l’ordre dans leur propre sein, à la condition qu’elles soient des organismes vivans, non des amas de feuilles mortes, à la condition qu’elles reçoivent la vie de leur centre, et une vie perpétuelle, sans arrêts, indéfiniment épanchée, à la condition qu’elles soient des unités continues, c’est-à-dire des monarchies héréditaires; — il trouve une seconde organisation, supérieure, dans un pouvoir spirituel, magistrature unique et universelle qui inspire et guide les magistratures locales, qui empêche que la loi supérieure de justice ne s’efface et ne s’abolisse dans le monde, qui maintient et qui représente l’unité continue du genre humain.


V.

Un tel système est hardi, vigoureux, résistant. Il est même profond, à preuve qu’il n’est pas autre chose, on l’a vu dix fois au cours de notre analyse, que du Pascal à outrance. Il captive, il contraint, il maîtrise. Il est emporté, hautain et entraînant. Il séduit insolemment, pour ainsi dire, les facultés logiques de notre esprit. Il ne persuade pas du tout. Il a quelque chose de provocant, qui fait que quand on est près de donner raison à de Maistre, on souhaite passionnément qu’il ait tort; il semble une gageure et un défi. Cela tient, ce me semble, à un trait singulier de la complexion de Joseph de Maistre. J’ai comme un soupçon qu’il avait un esprit en opposition avec son caractère, et que, le sentant obscurément, il s’attachait avec soin à ne rien mettre de son caractère dans son esprit.

Il était très bon, et il a fait un système méchant. Il était très