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est revenu à son point de départ. Son christianisme complète sa philosophie en la confirmant d’abord, ensuite en en dévoilant le mystère et en en développant le secret. Il soutient sa politique et il l’achève, en lui donnant un fondement et une sanction. Et de tout le christianisme il semble que de Maistre n’ait voulu voir que ce qui était une preuve de sa philosophie et un complément de sa politique, et qu’au-delà il n’ait rien vu.

Le christianisme, pour de Maistre, confirme et consomme le système de philosophie pessimiste que nous venons d’exposer d’après lui, en ce qu’il est ce système lui-même, avec une dernière conclusion qui l’éclairé et en même temps le purifie. Il ne faut pas croire, en effet, que le christianisme soit une vue nouvelle et particulière sur l’homme et sur le monde, inconnue avant l’avènement de la foi chrétienne. Il est la pensée même de l’humanité, de toute l’humanité depuis qu’elle existe. L’humanité était chrétienne avant le Christ ; elle l’était mal, et sans le savoir, mais elle l’était. « Les vérités théologiques sont des vérités générales. » Et il le faut bien ; car, sans cela, il n’y aurait ni unité, ni continuité dans le monde, et, à un monde ainsi fait, de Maistre ne comprendrait rien. Tout ce que le christianisme enseigne, les hommes le croyaient, sans l’entendre, sans s’en rendre compte, avec étonnement, inquiétude et terreur ; tout ce que les hommes croyaient, le christianisme l’enseigne avec une explication suprême qui dissipe les effrois avec les ombres. Le paganisme était un christianisme enfantin ; le christianisme est un paganisme « nettoyé » et éclairé, « délivré du mal » et pourvu d’un flambeau. Les hommes, avant Jésus-Christ, ont toujours cru que l’injustice était la loi de l’univers : c’était si vrai, que le christianisme est tout fondé sur une injustice abominable, sur la défaite, l’immolation et le martyre du Juste ; les hommes avant Jésus-Christ avaient toujours cru à la loi du sang : ils avaient si bien raison, que le christianisme fait éternellement couler sur tous ses autels le sang de l’éternelle victime ; les hommes avant Jésus-Christ ont cru à la réversibilité, au péché originel, dont la tragédie grecque est pleine (c’est vrai), au juste payant pour le coupable et rachetant les crimes du monde : ce mystère est le christianisme lui-même ; les hommes avant Jésus-Christ croyaient que le mal l’emportait ici-bas, était le maître du monde, et qu’ainsi le voulaient les dieux : le christianisme n’a pas une autre doctrine ; seulement il explique cette vérité. — Il dit : Oui, la terre est mauvaise, et ainsi Dieu le veut ; mais ce n’est pas qu’il soit injuste, c’est qu’il est offensé ; il l’a été à l’origine, et l’est encore, puisqu’il l’a été, la loi de réversibilité étant admise ; il est offensé, de là le mal ; il fait du mal la loi du monde comme châtiment et comme épreuve ; il punit par le mal, il rachète par le mal,