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fallait du tout au tout qu’il régnât dans la vallée inférieure. Vers la fin du mois de février 1850, une de ces contestations, si fréquentes entre Kabyles, s’était élevée au sujet d’un marché ; deux officiers, l’un de Bougie, l’autre de Sétif, avaient été envoyés pour accommoder le différend. Pendant l’arbitrage, un Kabyle s’élança sur l’officier de Sétif, le lieutenant Gravier, et lui fracassa la cuisse d’un coup de pistolet. L’assassin, saisi aussitôt par les indigènes stupéfaits, déclara que l’arme avait été mise entre ses mains par deux cheikhs, qui, profitant du tumulte, s’étaient hâtés de déguerpir.

Les colonels Daumas, Canrobert et de Barral avaient été promus généraux de brigade. Nommé au commandement de la subdivision de Sétif, le général de Barral avait eu d’abord à châtier des tribus qui avaient attaqué sur le chemin de Bou-Sâda un détachement français; puis il s’était dirigé vers le nord par la route de Sétif à Bougie, afin de rechercher les instigateurs de l’attentat commis sur le lieutenant Gravier. Sa colonne était forte de trois bataillons des 16e, 38e et 51e de ligne, de deux bataillons de zouaves, du 3e bataillon d’Afrique, de deux escadrons de chasseurs d’Afrique et de spahis, de deux sections d’obusiers de montagne, de 50 sapeurs et d’un détachement du train conduisant 210 mulets.

La marche était lente, parce que le général avait ordre d’élargir et d’améliorer la route par laquelle il cheminait. Du 9 au 19 mai, il n’avait encore eu à vaincre que les difficultés du terrain ; mais, le 19, il apprit que les Beni-Djellil, qui pouvaient mettre en ligne 2,000 fusils et que Si-Djoudi animait à la résistance, avaient résolu de lui barrer le passage. La rencontre eut lieu le 21 mai; les Kabyles occupaient des crêtes que protégeaient, en manière de fossés, trois ravins profonds. Au moment où le général, en tête de la colonne, menait à l’attaque une compagnie de zouaves et les sapeurs, il fut frappé, au passage du deuxième ravin, d’une balle en pleine poitrine. Il fit appeler le colonel Lourmel, du 51e, lui remit le commandement, et seulement alors, après ce devoir accompli, se laissa descendre de cheval. Pendant la marche, la colonne s’était allongée ; tandis que le colonel prenait le temps d’en resserrer les élémens et de la masser, les Kabyles, trompés sur les motifs de ce retard, et l’attribuant volontiers à l’hésitation de leurs adversaires, descendirent de leurs positions défensives et s’aventurèrent à portée d’arme blanche. Aussitôt la charge sonna ; surpris, abordé corps à corps, l’ennemi fut en un moment culbuté, poursuivi la baïonnette et le sabre aux reins, laissant sur le terrain 200 morts. Le général de Barral, escorté par une compagnie de son ancien régiment, le 38e, fut transporté à Bougie ; il y mourut le 26 mai, à peine âgé de quarante-trois ans.

Après avoir fait ravager le territoire des tribus réfractaires, le