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dans le roi, c’est le peuple de France. Cette constitution très réelle, mais non écrite, faite de traditions et d’usages, obligeant le roi en conscience, mais ne le liant point, c’est la constitution française ; et Bossuet ne l’a pas lue, non plus que personne, mais il la connaît et la rappelle, et Fénelon de même, et Montesquieu sait bien qu’elle existe, et que c’est pour cela que la France n’est pas la Turquie. Cet idéal de monarchie sans entraves, mais non sans devoirs, de nation organisée pour l’unité et la continuité, c’est en France que de Maistre le voit réalisé autant qu’il est possible. Il aime la France pour d’autres raisons, par exemple parce que, retranchées les nations hérétiques et schismatiques, et l’Autriche, ennemie naturelle du Piémont, il ne reste qu’elle. Mais il l’aime en penseur encore plus qu’en patriote, parce qu’elle est sa pensée elle-même. Vive donc la France 1 Elle a abandonné ses traditions ; mais est-ce qu’un peuple peut sortir pour longtemps de sa nature? Est-ce que tout cela n’est pas un accident, et sans doute une épreuve? — Et de Maistre rentre dans son rêve de monarchie absolue, et tempérée seulement par elle-même.


III.

Et il l’agrandit et le généralise ; il le rattache à une conception générale de l’humanité et du monde... On peut se demander pourquoi. A quoi bon envelopper une doctrine politique dans une théorie philosophique au risque de l’y étouffer? Ne suffit-il point qu’un système social soit logique en soi, se prouve lui-même, par la démonstration qu’il donne de lui et la réfutation des systèmes contraires, sans essayer de se soutenir par des considérations métaphysiques? — Bien peu de philosophes parleront ainsi, et même bien peu de théoriciens. Montesquieu lui-même, qui est surtout un critique sociologue, ne s’en croit pas moins obligé à donner, en tête de son Esprit des lois, une petite métaphysique sommaire, que, du reste, il ne semble pas entendre très clairement. De Maistre, plus que personne, est entraîné sur cette pente ; car c’est la tête la plus systématique qui soit au monde, et il n’est homme qui soit plus porté à prouver ce qui est clair par ce qui l’est moins. Il est par excellence le penseur qui estime que tout est dans tout et dans chaque chose; cette unité et cette continuité, s’il la veut si fort dans l’état, c’est qu’il Ta dans son esprit; et il faut pour lui que le système du monde explique son système social. Cela, parce qu’il est M. de Maistre d’abord, ensuite parce qu’il est, quelque effort qu’il fasse pour n’en être pas, du XVIIIe siècle, du siècle des théories à outrance, des destructions radicales en vue de reconstructions intégrales, et des maisons qu’on brûle pour ne pas réussir à