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« d’ordonnance » dans les campagnes où l’on couche en plein air, dans les pays que visite fréquemment la dysenterie ; 3,150 pièces de literie, draps et couvertures de laine ; 1,840 kilogrammes de linges à pansemens, 100 appareils à fractures, 9 matelas à eau, 400 mètres de toile imperméable, 130 filtres à charbon, qui sont le plus précieux préservatif contre les contagions que charrient les eaux infectées de microbes; les conserves alimentaires sont en nombre qui ne se compte pas et forment, avec 11,700 litres de vins de Bordeaux et de Provence, une bonne ressource alimentaire. Les substances pharmaceutiques n’ont point été oubliées; les fébrifuges y tiennent bonne place et aussi les caïmans, les anesthésiques, — laudanum, chloral, éther et chloroforme, — auxquels tout blessé a droit aux heures de la souffrance ou de l’opération. Afin de combattre la soif si dure, sous le ciel d’Afrique, pour les fiévreux à peine abrités par la tente, on a ajouté 336 litres de jus de citron concentré, à l’aide duquel on peut rapidement obtenir des limonades faites avec de l’essence de fruits et non point avec de l’acide sulfurique, qui si souvent la remplace dans les cafés et même dans les hôpitaux. On a pensé aux heures languissantes de l’ambulance, à l’ennui du désœuvrement, à l’oisiveté qui, pour le convalescent, appelle la tristesse, le regret, « le mal du pays, » si périlleux que bien souvent il retarde la guérison en paralysant la réaction vitale, et l’on a envoyé aux malades de quoi « tuer le temps : » des jeux de dominos, de dames, d’échecs, quelques collections de volumes à la fois instructifs et amusans, romans d’aventures, récits de voyages, histoires militaires qui raniment le courage en racontant les hauts faits des devanciers; le tabac ne manquait pas non plus, car on sait à la Société de secours qu’il est indispensable au troupier qui en a contracté l’habitude.

En expédiant ces « douceurs » à nos soldats manœuvrant sur les territoires ubi Carthago fuit, notre Croix rouge s’imaginait qu’elle concourait simplement au soulagement des malades et des blessés ; elle eût été sans doute fort étonnée si on lui eût prédit que, par son action seule, elle allait participer à la conquête et soumettre des tribus réfractaires. Tout invraisemblable que le fait puisse paraître, le fait n’en est pas moins certain ; si l’on en doutait, j’invoquerais le témoignage du général Riu, que nul ne récusera. Dans cette campagne qui fut si précipitée qu’on put la croire inopinée, il se produisit, au début surtout, quelque indécision dans les services auxiliaires de l’armée. On guerroyait dans l’extrême sud, à plus de 500 kilomètres de la base d’opérations ; les médicamens, le matériel de pharmacie, n’y parvenaient point facilement, s’égaraient sur les routes indécises du désert et se faisaient parfois attendre plus qu’il n’eût convenu dans l’intérêt des malades et des