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du grand désert. Ce que cette conquête a coûté à la France d’efforts, d’hommes et d’argent, les lecteurs de la Revue savent que M. Camille Rousset l’a raconté d’une façon magistrale. Notre sécurité exigea, paraît-il, un développement de frontières du côté de l’Orient, et nous avons étendu une main bienveillante sur la Tunisie, à peu près comme l’Angleterre honore l’île de Malte de son protectorat. Les choses n’allèrent point toutes seules, et les Tunisiens nous accueillirent avec un empressement mélangé de coups de fusil. Qui ne se rappelle les Kroumirs, ces fameux Kroumirs dont la résistance fut si redoutable dans les journaux? Peu ou prou, on se battit; des soldats français étaient en guerre, la Société de secours aux blessés intervint, et elle proposa ses services au ministre. Celui-ci les accepta, mais en les limitant. Il ne crut pas devoir accueillir le concours sans réserve qu’offrait la Société; il estima que les ressources hospitalières dont disposait le corps expéditionnaire suffisaient à tous les besoins, et il n’autorisa que l’envoi de certains dons en nature. Si les ambulances de notre Croix rouge ne se montrèrent pas en Tunisie à la suite de nos soldats, c’est qu’il ne leur fut point permis d’y paraître ; je le regrette, car elles n’y auraient point fait mauvaise figure. A défaut de ses tentes, de ses cacolets, de ses infirmiers, elle envoya des médicamens et beaucoup de ces objets qu’une administration soucieuse des deniers publics doit considérer comme superflus, mais qui nous semblent de nécessité première pour les malades et les convalescens. On sut y joindre, sans malice, mais avec habileté, une centaine de brancards qui furent utilisés, quoique le matériel sanitaire de l’armée fût au complet. Tous les envois étaient dirigés sur les comités de la Société, à Marseille, à Toulon, à Oran, à Alger, à Bône, à Tunis, qui les faisaient parvenir et distribuer dans le sud oranais où nous étions en lutte contre les indigènes, en Tunisie dont on nous disputait mollement la possession. Toutes les caisses, tous les colis timbrés de la Croix rouge portaient à nos soldats l’assurance que la Société de secours veillait de loin sur eux, puisqu’elle n’avait pas été admise à les faire accompagner par ses délégués. Il est fâcheux que des considérations d’un ordre probablement supérieur l’aient éloignée de cette incursion en pays à conquérir ; elle y eût sans doute perfectionné une expérience qui n’eût pas été stérile pour l’avenir. Le fit fabricando faber est vrai pour l’hospitalier comme pour le forgeron.

L’énumération des objets expédiés par le comité central de Paris est intéressante, car elle répond avec intelligence aux besoins du soldat en marche de guerre, que n’épargnent ni les blessures, ni les maladies, ni le dénûment, et que trop souvent reçoit l’ambulance temporaire en attendant l’hôpital. J’y vois 6,314 objets d’habillement, où dominent les chemises et les ceintures de flanelle, qui devraient être