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d’être un signe du temps. Il a eu certainement aussi un autre effet : il a donné une force nouvelle à ce sentiment d’honnêteté révoltée qui se manifeste de toutes parts dans la masse de la nation française, qui s’élève aujourd’hui avec Une énergie croissante contre un régime où le pays voit tomber par degrés toutes ses défenses, toutes ses garanties contre l’invasion de l’anarchie morale et politique.

Ah ! on a cru pouvoir impunément abuser de tout. On ne s’est pas borné à exercer libéralement un pouvoir qu’on recevait à peu près intact, à s’établir dans une situation où la France, déjà presque relevée d’effroyables désastres, se retrouvait à demi pacifiée, avec des finances prospères, avec une constitution suffisante et la bonne volonté de vivre sous un régime qu’elle n’avait peut-être pas appelé, qu’elle acceptait du moins. C’était trop peu pour les réformateurs du jour! On a voulu refaire une France républicaine et radicale, tout changer au risque de tout bouleverser, plier les lois, les intérêts, les traditions, les mœurs aux passions de secte, à des calculs de domination exclusive et jalouse. On a cru pouvoir durer en séduisant le pays par des prodigalités, en captant des clientèles de parti par des faveurs, en se faisant des complices de toutes les cupidités. On a livré les finances à l’esprit d’aventure, la paix des consciences aux sectaires, la justice aux épurateurs, l’indépendance du gouvernement aux tyrannies de majorité, Paris à un Conseil municipal anarchique. Dix années se sont passées à cette œuvre de révolution ou de désorganisation, voilà la vérité! Républicains opportunistes et radicaux ont abusé du règne sans s’apercevoir que les prodigalités financières étaient suivies du déficit, que les guerres religieuses provoquaient un jour ou l’autre la révolte des consciences, que les excès de majorité conduisaient à la confusion, qu’il y a, en un-mot, un lendemain pour tout. Ils n’ont pas vu bien d’autres choses. Le plus clair est que, sans rien voir, on est arrivé droit à ce point où tout semble épuisé, où il suffit qu’un personnage d’aventure fasse appel à tous les mécontentemens, à tous les sentimens révoltés et promette un changement, pour rallier des voix de toutes parts, pour tenir les pouvoirs publics en échec. C’est pour le moment la situation, qui, nous en convenons, n’est pas plus rassurante pour les garanties libérales que pour l’honneur de l’état.

C’est, dit-on aujourd’hui, avec une sorte de véhémence effarée, le devoir du gouvernement de défendre la république, d’opposer la constitution et les lois aux conspirations menaçantes. On ne parle que de la constitution et des lois ! c’est bientôt dit; mais si les lois sont émoussées, si la constitution n’est comptée pour rien, qui donc a créé celle situation ? qui a tout fait pour qu’on ne sache plus même où trouver les lois, pour que le sens de la légalité existe à peine à l’heure qu’il est? C’est là précisément un des traits les plus caractéristiques de ce régime