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donc pas vu qu’il n’y aurait plus de pièce? Mais je les aurais bien souhaités l’autre jour, l’historien et le « philosophe, » au deuxième acte de Zaïre; et ils auraient compris qu’en même temps que sur les époques de l’irréligion de Voltaire, ils se trompaient sur l’impression et sur l’effet de la tragédie. Si peut-être Voltaire ne l’a pas très bien vu, ni surtout très heureusement rendu, il a du moins pressenti ce qu’il pouvait y avoir de valeur « pittoresque » dans un judicieux emploi de la religion, de moyens nouveaux d’émouvoir, et de ressources enfin qu’une piété un peu janséniste avait seule interdites au drame ou au roman. A cet égard même, quoiqu’elles soient de Voltaire, Zaïre et Alzire ne sont pas tellement éloignées, ne diffèrent pas tant du Génie du christianisme, et si Chateaubriand n’a pas craint d’en faire l’éloge que l’on sait, il prenait sans doute un malicieux plaisir à louer dans Voltaire ce qu’il y trouvait de moins « voltairien,» mais il payait aussi une espèce de dette, et, en faisant les affaires de sa thèse, il faisait celles de sa conscience littéraire. Dans ce livre célèbre, n’est-ce pas, en effet, aussi lui, comme Voltaire, le sentiment, l’imagination, les sens mêmes qu’il a lâché d’intéresser à la vérité de la religion chrétienne? la supériorité du « merveilleux chrétien » sur les fictions du paganisme qu’il a voulu plaider? de la Jérusalem sur l’Iliade ou du Paradis perdu sur l’Odyssée, de la Phèdre de Racine sur l’Hippolyte d’Euripide, ou de la Zaïre de Voltaire sur l’Iphigénie de Racine ? et, il faut bien le dire, ce qu’il a prétendu démontrer, n’est-ce pas, sous l’influence de la morale évangélique, le perfectionnement de tout ce qui fait le plaisir ou le prix de la vie sociale : musique et peinture, beaux-arts et poésie, délicatesse et sensibilité, douceur des mœurs, humanité, passions même et amour ?

Je pourrais signaler d’autres mérites dans Zaïre, comme par exemple celui-ci, que tous les personnages en sont intéressans ou « sympathiques, » ce qui est rare dans la tragédie. J’y retrouve encore cette « humanité» que Voltaire appelle quelque part le a premier caractère d’un être pensant. » Mais ce que je tiens surtout à dire, c’est que les faiblesses de l’exécution, les négligences, l’air d’improvisation et de facilité, bien loin de nuire à sa pièce, lui donnent au contraire une grâce ou un charme de plus et en achèvent d’expliquer la séduction durable. Comme l’héroïne elle-même du poète, sa tragédie est forte de sa faiblesse, et véritablement, elle a des défauts qu’on préfère à ses qualités.

Lorsque l’on veut faire sentir l’éternelle beauté d’Andromaque et de Phèdre, ou ne les replace pas dans leur « milieu ; » on les en distingue; et on montre aisément que deux siècles aujourd’hui passés n’en ont pas altéré la ressemblance fidèle avec la vie. Mais, au contraire, dans Zaïre, ce qu’il faut apprendre à goûter, et ce que l’on y