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l’Allemagne est trop étroite pour nous deux, et le vieux renard ne m’inspire pas plus de confiance dans sa peau neuve que sous son pelage galeux d’été. Nous labourons ensemble le même champ contesté, et l’Autriche est le seul état avec lequel nous ayons quelque chose à perdre et quelque chose à gagner. Depuis mille ans, le dualisme germanique s’est manifesté par des guerres intestines qui, depuis Charles-Quint, ont invariablement réglé de siècle en siècle les questions pendantes entre l’Autriche et nous; dans ce siècle aussi viendra le moment où nous aurons à défendre notre existence contre elle. » Six ans après, il ajoutait que ce n’est pas par des discours, comme le croyaient les hommes de 1848, ni par les résolutions changeantes d’une majorité, que se règlent les grandes questions, mais par le fer et le sang, et il était fermement convaincu que, pour sortir victorieuse d’une lutte avec l’Autriche, la Prusse avait besoin d’une alliance étrangère, de l’appui de la Russie et de la connivence de l’empereur des Français.

En s’excusant de n’avoir pas été toujours de l’avis du prince de Bismarck, le duc Ernest remarque qu’on peut aller au même but par des chemins différens. Oui; mais il y a des chemins trompeurs où l’on reste embourbé. Le Nationalverein et son patron disaient aux Hohenzollern : «Travaillez à vous rendre populaires; conquérez nos sympathies par votre libéralisme, par vos condescendances, par vos manières engageantes, par votre humeur agréable. Mettez-vous en règle avec la démocratie, acceptez ses conditions, et nous vous donnerons l’Allemagne. » M. de Bismarck a toujours pensé que la guerre est la grande législatrice de ce monde, que les grands événemens se décident par l’épée, que la Prusse, n’ayant pas reçu du ciel le don de la séduction, compterait vainement sur ses grâces pour faire la conquête de l’Allemagne, que les états moyens se dérobaient à son influence parce qu’ils doutaient de sa force, que le jour où ils y croiraient, ils seraient à sa discrétion, et qu’elle pourrait leur dire : «Je me passe de votre sympathie; c’est à vous de mériter la mienne. « Il pensait au surplus que les condescendances avilissent, dégradent les monarchies, qu’un roi de Prusse qui coquette avec les démocrates et fait sa part à la souveraineté du peuple n’est pas un vrai roi de Prusse.

La politique du Nationalverein et du duc de Cobourg lui était odieuse; il l’a définie un jour « une politique de clair de lune, » et il aime peu les clairs de lune. La royauté telle qu’il l’entend, la royauté qu’il aime et qu’il respecte, est un soleil dont les rayons, que rien n’intercepte, tombent d’aplomb sur des têtes qui s’inclinent.


G. VALBERT.