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Vu l’état des finances du souverain, cette défense semblera bien inutile.

On voit que la Sublime-Porte n’est pas disposée à faire abandon, — du moins sur le papier, — de ses droits. Alors pourquoi ne proteste-t-elle pas plus énergiquement contre ce qui se passe ? Sans parler de l’humiliation que lui inflige une occupation étrangère, son silence n’est-il pas en contradiction avec le ton impérieux de son impérial firman? Elle a au Caire, pour la représenter, un homme politique hors ligne, son excellence Moukhdar-Pacha ; nul n’est plus apte que lui à trancher le nœud d’une telle situation. Pourquoi n’y est-il pas encouragé et mieux soutenu?


V. — TEWFIK Ier.

Le jeune khédive actuel, son altesse Méhémet-Tewfik, d’un aspect aimable, doux de caractère, passe pour être aussi résigné à la situation effacée qui lui est imposée par des événemens antérieurs à son élévation, que son prédécesseur Ismaïl-Pacha l’était peu. Ennemi du faste, se plaisant dans son intérieur, peut-être plus qu’il ne convient à un souverain, il a le louable désir de réformer l’Egypte par l’exemple de ses bonnes mœurs, de ses économies, et en faisant donner à la jeunesse de son pays une bonne éducation.

Époux d’une femme que l’on dit charmante, aussi bien au physique qu’au moral, le vertueux Méhémet-Tewfik n’a jamais voulu étendre ses faveurs jusqu’aux femmes supplémentaires que l’usage, sa religion et sa situation princière lui permettent largement. Ce qui est plaisant, c’est que, loin d’être un sujet d’admiration pour ses coreligionnaires, son abstinence est considérée comme un scandale par les pachas opulens qui, dans la crainte de ne pouvoir entrer un jour dans le paradis promis par Mahomet à ses fidèles, se hâtent de se le procurer sur terre. À ces impurs, le khédive montre un verset du Coran dans lequel il est dit qu’on peut bien avoir quatre femmes, mais qu’il est beaucoup plus sage de n’en avoir qu’une, et il s’y tient. Ses enfans, deux garçons et deux filles, sont élevés à l’européenne ; les deux fillettes ont une Française pour institutrice. On les voit tous les jours parcourir dans un bel attelage les rues du Caire, heureuses de respirer le grand air et de livrer leur teint blanc et rose aux baisers du soleil. Savent-elles que, dans très peu d’années, la claustration de la femme musulmane les attend ? C’est probable, et l’on fait des vœux pour que la civilisation européenne les arrache à cette odieuse coutume. Il est de ces jeunes filles élevées à l’européenne que la nostalgie du mouvement et de la liberté tue comme la nostalgie de l’exil. Je ne dirai pas un nom, mais tout le monde sait, au Caire, la fin