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les mois, pour cet objet, plus de 3 millions de francs et que les employés n’en touchaient rien.

Ils mirent à jour bien d’autres abus, et si je dis abus, c’est par euphémisme, pour n’employer que des expressions choisies. C’est ainsi qu’ils remarquèrent l’absence de tout document ressemblant à un budget, et que l’autorité du chef de l’état en matière de finances avait été absolue et sans contrôle. Il existait bien une chambre de notables et un conseil privé, mais, si l’on était disposé à croire que ces deux institutions limitaient dans quelque mesure que ce soit le pouvoir du khédive, il suffirait de jeter les yeux sur les décrets qui les organisaient et définissaient leurs attributions pour comprendre que leur intervention dans les affaires financières n’était qu’une vaine formalité. La loi, sous Ismaïl, n’était autre chose que l’expression de la volonté du chef de l’état. Peu importait que cette volonté se manifestât par un document écrit ou par un ordre verbal : elle était toujours obéie. Un jour, le gouvernement d’alors s’empara des fonds des wakfs, ou fondations religieuses, et de ceux du Bet-el-Mal, caisse chargée de gérer les biens des orphelins. Les directeurs de ces deux institutions trouvèrent le procédé absolument irrégulier; mais la confiscation avait eu lieu d’après l’ordre de l’altesse khédiviale, et ils s’inclinèrent en gens qui connaissaient les mœurs et les traditions. La commission d’enquête s’aperçut qu’il n’y avait eu jamais en Égypte de documens donnant les chiffres de recettes sur lesquelles on croyait pouvoir compter et les dépenses auxquelles on devait subvenir. Un ministre, celui de la guerre, par exemple, réalise des recettes de 4 millions de francs, produit des exonérations militaires et des taxes de guerre. Il en fait emploi sans en rendre compte à son collègue des finances, ni aux autres contrôles institués pour vérifier les dépenses et les recettes. On constata, finalement, en examinant les comptes des « gouvernorats » du Caire et d’Alexandrie, que le produit des ventes de terrain n’était porté que sur un petit mémorandum, une sorte de livret, et servait à payer des dépenses pour lesquelles aucun crédit n’avait été ouvert.

Ce ne sont pas des faits isolés que je rapporte, je ne parle que de ce qui m’a paru le plus extraordinaire.

Le contrôleur-général de la dette et de la comptabilité, qui avait demandé aux diverses administrations des situations mensuelles et des états récapitulatifs de leurs dépenses, apprécie en ces termes la valeur des documens qui lui furent remis: « L’état comparatif de ces documens ne permet malheureusement pas de les accepter comme sérieux et dignes de confiance. Les totaux correspondent à peu de chose près, mais le détail présente des différences inexplicables, et on est amené à se demander si l’imputation du total des dépenses