Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 90.djvu/672

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des quantités fabuleuses d’argent prouve du moins que l’Occident ne lui marchandait ni sa confiance ni ses sympathies. Il était alors de grand ton, en hauts lieux, d’aller en Égypte pour féliciter le souverain de l’heureux achèvement du canal de Suez, et d’accepter son hospitalité plus que fastueuse. Artistes, littérateurs, princes et têtes couronnées, ne tarissaient pas en expressions de reconnaissance ; les personnes qui avaient la connaissance pratique des affaires lui savaient surtout gré d’avoir sacrifié au percement de l’isthme de Suez et en faveur d’une œuvre entièrement internationale les bénéfices directs, considérables, qu’il retirait du transit par Alexandrie et Suez, et de Suez à Alexandrie, des produits de l’Europe et de l’extrême Orient. Pourquoi ne sut-il pas tirer parti des dispositions bienveillantes qu’on lui témoignait? À cette date déjà lointaine, on croyait comptés les jours de la Turquie, plus peut-être qu’on ne le croit aujourd’hui. La diplomatie européenne, se fondant sur la nécessité de neutraliser le canal de Suez et d’en confier la garde à une puissance neutre, indépendante, eût pu, en exerçant une forte pression à Constantinople, obtenir l’autonomie et l’affranchissement de l’Egypte. N’était-ce pas pour le commandeur des croyans une solution plus digne, préférable à celle de voir un pays musulman protégé par des adorateurs du Christ, et des soldats égyptiens tombant à Hahsgate et à Khartoum sous les couteaux des derviches ?

Lorsque sonna pour le khédive l’inévitable quart d’heure de Rabelais, les visiteurs détalèrent, emportant dans leurs bagages leurs promesses de dévoûment. Ismaïl-Pacha, sentant le sol se dérober sous ses pieds, fit des efforts surhumains pour éviter une catastrophe dont il était loin de pressentir la gravité. S’il se fût borné à faire rendre gorge, par ordre, à ceux qui s’étaient démesurément enrichis, s’il eût persisté à contracter des emprunts qui, impayés à leur échéance, se seraient augmentés d’intérêts usuraires, on lui eût sans doute pardonné. Mais il est avéré qu’affolé, éperdu, il rançonna son entourage par des moyens plus injustes et plus despotiques qu’aucun de ceux employés par Charles VII à l’égard de son argentier Jacques Cœur. Il vint un moment où, les actes arbitraires et criminels du prince, pour se procurer des ressources, se succédèrent sans trêve. Et dans quelles circonstances ces spoliations se produisaient-elles? Quand le pays décimé par le choléra, atteint dans ses richesses agricoles par une épizootie épouvantable, ruiné par des impôts de toute nature, n’avait plus un para c’est-à-dire à peine un centime à donner.

Ce fut dans les premiers jours de l’année 1876 que l’embarras du trésor égyptien devint extrême. Le conseil des ministres d’alors se vit contraint de déclarer que les paiemens des bons échus en