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elle tombe à 39.97 pour 100. Par 1,000 habitans, la mortalité moyenne n’est que de 26 à 27. L’indigène qui, enfant, surmonte le manque de soins et l’insuffisance de nourriture fortifiante, devient, en atteignant l’âge mûr, un homme auquel on peut imposer les plus durs des travaux, sans crainte qu’il y succombe.

Les fermiers égyptiens, entrepreneurs de travaux agricoles, prennent à leur service la foule des fellahs, qui sont obligés de louer leurs bras à n’importe quelle condition pour ne pas mourir de faim. On peut dire toujours de ces infortunés ce qu’en écrivait le conquérant Amrou au calife Omer : « Le peuple égyptien ne paraît destiné qu’à travailler pour les autres, sans profiter lui-même de ses peines. »

Il est de ces entrepreneurs de fermage fort riches ; s’ils ont l’habileté de se faire nommer cheiks de leur village, ils auront aussitôt leurs cliens qui, humbles, fidèles, les suivront partout où ils leur diront d’aller; c’est un spectacle fréquent dans les rues du Caire, lorsque l’un d’eux y est appelé, que de voir ce grave personnage à cheval parcourir la ville escorté de ses fidèles à pied, ils ont aussi de beaux chevaux arabes, de riches costumes, de belles armes, et, parfois, un semblant de harem dont ils sont, à ce que l’on assure, plus friands, plus jaloux que les Turcs eux-mêmes. Il est rare qu’un fellah des champs ou un indigène des villes ait plus d’une femme. Comment nourriraient-ils une nombreuse famille? Aux champs, les enfans travaillent la terre, les canaux, les rivières ; mais à la ville, les garçons se font âniers ou entrent comme apprentis dans les ateliers de cordonnerie, de sellerie, de tarbouches, d’ébénisterie et de métaux, qui constituent les principales industries. Quant aux filles, les jeunes fellahines, rien n’est plus triste que la condition de beau- coup d’entre elles. Levées dès l’aurore, vêtues d’une légère galabieh ou longue robe en cotonnade bleue, pieds nus, elles se rendent, aussitôt debout, aux divers chantiers de construction. Là, leur travail consiste à transporter au plus haut des échafaudages le mortier, le sable, la chaux nécessaires aux ouvriers maçons. Elles marchent habituellement à la file indienne lorsqu’elles vont au travail, d’un pas toujours posé et régulier, ayant sur leur tête enfantine des matériaux d’un poids parfois excessif. Pour s’encourager à la peine, en hiver surtout, quand le froid est piquant, même pour des Européens, l’une d’elles entonne un chant d’une grande tristesse et dont ses compagnes répètent en chœur le refrain. Que de fois leurs voix aiguës et monotones n’ont-elles pas réveillé les voyageurs et leur ont appris que le soleil était déjà haut sur l’horizon !

L’indigène des villes, un petit employé généralement ou un industriel modeste, est, comme partout, moins intéressant que le laboureur