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de basse ou haute politique ont obéi l’Angleterre et la France, la première en bombardant, la seconde en abandonnant au pillage, une ville dont le nom seul eût commandé le respect à des barbares. Il est d’autant plus difficile de comprendre ce crime et cette ineptie, que, d’après les rares habitans qui ont eu le courage de ne pas fuir, il eût suffi de 500 fusiliers marins, — son excellence Riaz-Pacha, ministre des affaires étrangères m’a parlé d’un chiffre moindre, — pour faire rentrer sous terre la horde des pillards, des incendiaires et des assassins de ces jours néfastes.

Hélas ! en cette circonstance comme dans beaucoup d’autres, la France a cédé à l’injonction de ceux de nos gouvernans qui font litière de sa dignité au dedans, de son prestige et de son influence au dehors. Que pèsent leurs luttes parlementaires quand l’honneur du drapeau est engagé ? Tout au plus le poids d’une paille ; aussi ne veulent-ils à aucun prix que l’attention publique soit détournée des batailles qu’ils livrent à la tribune, et dont les trophées ordinaires sont de chutes de ministères, des conquêtes de portefeuilles, ou de grosses sinécures pour eux d’abord et les leurs ensuite. Peu leur importe que nos protégés ou nos nationaux soient insultés, outragés à Damas et à Beyrouth, ou que l’on massacre au Tonkin, à la suite de l’abandon qu’on a failli en faire, la population indigène qui a eu foi en notre parole. Et que dire de cette incomparable politique qui livre à l’Angleterre cette Égypte si franc lise par tant de souvenirs, souvenirs plus vivans, peut-être, sous la tente du bédouin et la hutte du fellah que dans nos esprits : l’Égypte où Damiette rappelle saint Louis, les Pyramides Bonaparte, Héliopolis Kléber, et Ismaïlia la plus grande œuvre du siècle. Notre abstention a été non-seulement une faute dont nous subissons les conséquences depuis qu’elle a été commise, mais elle est encore pour l’Égypte une aggravation à la crise dont elle souffre depuis 1872. Il n’est pas un homme de valeur, — depuis son altesse le khédive jusqu’au dernier de ses fonctionnaires, — qui ne jette à la face de la France le reproche d’avoir livré leur pays à la rapacité anglaise.

Après un séjour de deux mois au Caire, au moment de m’embarquer, je saluai pour la dernière fois, peut-être, la statue équestre de Méhémet-AIi. Il me revint en mémoire, alors, ce que peu de jours auparavant m’avait dit un grand personnage égyptien : « Si notre Méhémet vivait, il ferait trancher la tête, à moi d’abord, et à d’autres ensuite, pour nous punir de ce que nous supportons si patiemment… Allah est grand, bien grand, et il nous délivrera certainement de nos ennemis. — Amen, répondis-je, mais aidez-le tant soit peu. »

Il faut que cette terre sainte d’Égypte soit dans une situation