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La science demeure impuissante à donner l’explication de cette singulière anomalie, qu’on ne retrouve chez aucun mammifère, aucun reptile, aucun oiseau. Seuls, les poissons du genre des turbots et des soles présentent quelque chose d’analogue, ou plutôt l’exagération de la même particularité. Car, chez eux, les deux yeux sont placés du même côté du corps, qui devient ainsi une sorte de dos tandis que l’autre côté, sur lequel se pose habituellement l’animal, perd son coloris et représente le ventre. Les avocats du transformisme n’ont pas manqué à nous expliquer comment un poisson, en se couchant sur le flanc dans le sable pour mieux guetter sa proie, avait pu, avait dû prendre à la longue la figure que nous connaissons aux turbots et aux soles. La raison qu’on donne ici est évidemment plausible, mais on n’a pas encore, que nous sachions, expliqué cette déviation légère chez certains cétacés, très accusés chez d’autres, qui reporte vers la gauche l’orifice commun des deux narines. Faut-il supposer qu’ils ont une tendance native, plus accusée jadis chez leurs ancêtres, à nager sur le côté droit ? et que l’évent, par suite, tend chez eux à se déplacer à gauche pour mieux leur permettre de respirer à la surface de la mer ? Voilà une explication ; rien ne prouve qu’elle ait aucun fondement ; mais de combien d’autres du même genre en peut-on dire autant !

Les yeux du cachalot sont très petits ; ils ne sont pas deux fois grands comme ceux d’un bœuf. Le globe, sollicité par des muscles puissans et longs en proportion de la largeur de la tête, peut subir un retrait considérable derrière les paupières. Cet effet se produit toujours après la mort. Alors l’œil semble vide, le doigt enfoncé arrive à peine jusqu’au globe. De là cette ancienne croyance, toujours courante chez les baleiniers, que le cachalot est aveugle et qu’il a besoin d’un pilote. Le cachalot n’est pas plus aveugle que les autres cétacés ; toutefois, la vision de ces animaux soulève un problème assez délicat, que la physiologie ne semble pas encore avoir abordé. Une cornée convexe, comme celle de l’homme, est la condition essentielle de la vue dans l’air atmosphérique ; c’est, au contraire, la disposition la plus défectueuse pour l’œil quand il est sous l’eau. Aussi la cornée est-elle à peu près plate chez les poissons. Cependant les phoques, les otaries, les marsouins et les dauphins, dans une certaine mesure, ont l’œil bombé ; ils doivent, par suite, y voir très mal quand ils plongent. Et alors on se demande comment ils chassent des proies qui devraient, semble-t-il, toujours leur échapper ? Bien que le cachalot ait un œil peu bombé, sa vue sous l’eau n’en doit pas moins être très imparfaite, et, s’il n’a pas les yeux toujours crevés, comme on le raconte, il distingue certainement fort mal les objets. On ne comprend pas comment il atteint