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A l’exemple des Soung, l’empereur Chun-Tchi, fondateur de la dynastie tartare, avait, tout en conservant le régime municipal des Ming, institué dans chaque commune un double centre d’administration : le Pao-Tching, préposé au maintien de la paix publique, le Li-Tchang, percepteur des taxes, administrateur du territoire, surveillant des travaux agricoles. En même temps, il nommait deux gouverneurs de la capitale, le maire, qui est toujours un Chinois, le Kieou-men-Thilou, ou commandant des neuf portes. Protecteur du palais impérial et grand constable de la ville, ce dernier répartit les troupes des huit bannières, dirige la police métropolitaine, nomme et révoque les commissaires de police, qui sont, comme lui, d’origine tartare, garde les clés de Pékin, surveille les lieux de débauche, les maisons de jeu, opère le recensement de la population, autorise les inhumations, prescrit les mesures sanitaires. Si, chose fort rare à Pékin, des rassemblemens prennent le caractère d’une rébellion, il doit, avant de procéder à des mesures de rigueur, employer tous les moyen s de persuasion pour apaiser l’émeute. A leur tour, les commissaires de police jouissent de pouvoirs fort étendus : visites domiciliaires, bastonnade, juridiction militaire, indépendance complète en face de l’autorité civile; comme officiers de police judiciaire, les règlemens leur reconnaissent presque tous les droits que notre code d’instruction criminelle confère aux maires, au parquet, aux juges de paix, officiers de gendarmerie et juges d’instruction, La rapacité des fonctionnaires chinois rencontre un correctif dans le refus de l’impôt, dont un des premiers signes est la fermeture des boutiques, ce qui, après trois jours, amène la destitution du coupable.

Quant à la commune rurale chinoise, elle est un groupe de familles, non d’individus, et le père y exerce seul le droit de suffrage. Il y a autant de conseillers municipaux qu’il y a de familles dans une commune. Les choses se passent ainsi depuis vingt siècles, et, pas plus aujourd’hui qu’autrefois, les célibataires ne jouissent des droits du citoyen. La piété filiale, a-t-on dit, est la base de la civilisation chinoise : ce que le judaïsme fut aux Hébreux, le paganisme aux Grecs, le mahométisme aux nations musulmanes, le christianisme aux peuples européens, la piété filiale l’est aux. Chinois.

Singer n’est pas imiter. Est-ce une tyrannie orientale habillée à l’européenne, à la française, ou bien les choses cadrent-elles avec les mots, les réalités avec les apparences, la pratique avec les textes de lois? Toujours est-il qu’en étudiant les institutions administratives du Japon, on serait tenté de se croire en France, si, au lieu d’un cens, très restreint d’ailleurs, le suffrage universel existait là-bas, si les préfets japonais ne semblaient être