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que l’histoire complétera sans doute, mais dont elle ne contestera pas la fidèle ressemblance.

« La reine Sophie, disais-je, avait plus d’une ressemblance avec son père, le roi Guillaume de Wurtemberg. Elle joignait à une instruction des plus variées, à une volonté nette et précise, la bonté et la fidélité du cœur. Au temps de son épanouissement, elle apparaissait majestueuse et belle comme une Junon, et plus tard, dans sa maturité, en l’écoutant disserter sur la littérature et la politique, on pensait involontairement à la grande Catherine ; elle descendait, du reste, des Romanof : sa mère était la sœur d’Alexandre Ier. Elle eût marqué à coup sûr dans l’histoire si, au lieu d’être reléguée sur un trône modeste, le sort lui avait réservé une couronne digne de l’activité et de la sûreté de son intelligence. C’est à Paris qu’elle venait de préférence se distraire des sévérités de La Haye. Elle aimait la cour des Tuileries, mais elle n’y recherchait que les satisfactions du cœur et de l’esprit. Elle avait, comme la reine d’Angleterre, un penchant marqué pour l’empereur ; toutefois, son affection était moins idéale, elle avait un caractère plus viril, elle se reportait moins sur la personne que sur le souverain. La lettre qu’elle écrivait le 18 juillet 1866, et qu’on a retrouvée au mois de septembre 1870 dans les épaves des Tuileries, montre avec quelle mâle sollicitude elle s’adressait à la volonté défaillante de Napoléon III[1]. »

L’empereur introduisit à la cour de Wurtemberg un jeu dans lequel il excellait : c’était celui des demandes et des réponses. Il rivalisait d’esprit, le crayon à la main, avec la reine Sophie et la princesse Olga; c’étaient des feux roulans de spirituelles reparties. J’ai toujours regretté de ne pas les avoir recueillies sur mes tablettes. Après le départ de l’empereur, le jeu devint un engouement. Dès qu’on entrait dans un salon, on vous présentait un crayon et une feuille de papier, et, sans respirer, il fallait s’exécuter. Un soir, chez la princesse Galitzin, je fus la cause d’un petit émoi. J’étais tombé sur la demande : « Savez-vous oublier? » — Je répondis bravement, en voyant en face de moi l’héritier du trône : « Lorsque je serai roi, j’oublierai les injures faites au duc d’Orléans. » Je faisais allusion au prince royal, qui se plaignait parfois, et non sans motif, d’être méconnu par son père et ses entours. Le baron de Meyendorf, le secrétaire de la légation de Russie, qui procédait au dépouillement et à la lecture des petits papiers, fut effarouché de la réponse ; il essaya d’escamoter le bulletin. — Qu’est-ce? demanda la princesse royale. — Rien, madame, répondit M. de

  1. L’Affaire du Luxembourg. Voir sa lettre, page 157.