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rabattit sur le général Fleury et le comte Walewski. Son but était évidemment de nous inquiéter sur le compte de la Russie ; mais il ne fut pas plus heureux avec les confidens de Napoléon III. « Le rapprochement des Russes et des Autrichiens les déroute, disait-il ironiquement ; ils ne sont pas encore arrivés à avoir une idée bien nette des causes qui l’ont provoqué. » C’était leur prêter peu de perspicacité. L’empereur n’était pas surpris par l’événement, comme il se l’imaginait; il savait à quoi s’en tenir, il connaissait par sa diplomatie les démarches de l’empereur d’Autriche faites à Pétersbourg et à Varsovie. Le ministre prussien, toujours à l’affût, ne se préoccupait pas seulement des grandes choses, mais aussi des petites. Il se demandait, dans ses épanchemens avec M. de Manteuffel, sans pouvoir, cette fois, résoudre le problème, « pourquoi le comte Walewski portait sur son habit noir, en sautoir, une écharpe dorée, à l’instar des officiers du roi. Était-ce l’étiquette du premier empire ou bien une simple fantaisie ?» — Il ne se l’expliquait pas, bien qu’il s’expliquât toutes choses.

Après un somptueux déjeuner au château, présidé par le grand-duc de Bade et la grande-duchesse Louise, l’empereur partit pour Stuttgart. A Bruchsal, à la station frontière, où le marquis de Perrière l’attendait avec ses secrétaires, les dignitaires du grand-duc attachés à sa personne cédèrent le service aux aides-de-camp et aux chambellans du roi.


VI. — L’ARRIVEE DE NAPOLEON III A STUTTGART.

Le 25 septembre 1857, à quatre heures, par une journée splendide, le train impérial entrait dans la capitale du Wurtemberg, au bruit des cloches, des fanfares et du canon. Le roi avait tenu à honneur de recevoir son hôte à la gare, entouré des princes et des officiers de sa maison; il l’embrassa avec effusion au milieu des acclamations. Toutes les maisons étaient pavoisées, la garnison était sous les armes, des escadrons de cavalerie avec un vieil étendard surmonté de l’aigle que le régiment, sous nos ordres, avait conquis à la bataille de Linz, suivaient et précédaient les voitures royales; les tambours battaient aux champs, les musiques jouaient avec ferveur l’air de la reine Hortense ; aux fenêtres, les femmes, enthousiastes, agitaient leurs mouchoirs, et une foule immense poussait de formidables hurrahs ! Le cortège ne fut qu’un éclair rapide à travers la multitude.

J’étais loin de me douter qu’un jour j’aurais la tâche douloureuse d’écrire, le cœur saignant, l’histoire de nos fautes et de nos revers, après avoir assisté à un tel spectacle et cédé aux émotions enivrantes provoquées par l’éclatant accueil fait au souverain de