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Francfort de 1848 n’était plus qu’un lointain et décevant souvenir. Il fallut que la France égarée, inconsciente, prît en main la cause des nationalités pour se suicider, en réveillant les légendes de Barberousse, les souvenirs du saint-empire, et que, frappée de vertige, sinon de démence, elle encourageât la Prusse à les exploiter pour les retourner contre nous.

Le tableau qu’au mois de mai 1856 M. de Bismarck traçait de la confédération germanique, de son esprit et de ses tendances, donnait du patriotisme allemand la plus piteuse idée : « Je puis affirmer, écrivait-il, qu’en cas de danger, aucun des princes confédérés ne se ferait scrupule de manquer à ses engagemens. Les ministres dirigeans de Bavière, de Wurtemberg, de Bade, de Darmstadt et de Nassau m’ont fait voir, jusqu’à l’évidence, qu’ils considéreraient comme un devoir de briser leurs liens fédéraux, si l’intérêt ou la sécurité de leurs souverains étaient menacés. Ils sont convaincus que l’empereur Napoléon et l’empereur Alexandre ne les abandonneront pas. Ils se rappellent qu’en 1813 et en 1814 ils n’ont rien perdu, et que la confédération du Rhin avait du bon, qu’elle leur assurait le pot-au-feu, leur permettait de rendre leurs sujets heureux, chacun à sa façon. »

Telle était l’Allemagne en 1857, après les rêves unitaires de 1848; nous savons trop ce qu’elle est devenue depuis, par le fait de notre imprévoyance.

Tous les souverains se faisaient un honneur de recevoir et de fêter Napoléon III. Le grand-duc Frédéric et la grande-duchesse Louise l’attendaient au passage du train à la gare de Rastadt, entourés de leurs généraux et de leurs dignitaires. Sur son invitation, ils montèrent dans son salon et l’accompagnèrent jusqu’à Bade, où il tenait à remplir un devoir de piété.

L’empereur portait à sa tante. Mme la grande-duchesse Stéphanie, une sainte affection. Elle était une Beauharnais, l’amie intime de sa mère et la fille adoptive de Napoléon[1] ; il ne se serait

  1. Napoléon avait pour elle une vive affection; après l’avoir adoptée, il lui fit épouser le grand-duc Frédéric de Baden, le dernier descendant, en ligne directe, de la maison de Zaehringen, qui prétendait être aussi ancienne que celle des Bourbons. La cérémonie eut lieu aux Tuileries, le 8 avril 1806. La princesse Stéphanie, née en 1789, était la fille du comte Claude de Beauharnais, le neveu du premier mari de l’impératrice Joséphine. — « Sa tante, dit le baron Imbert de Saint-Amand, dans ses remarquables études sur la cour impériale, qui la trouva jolie et bien douée, la prit en affection, et lui fit terminer son éducation dans le pensionnat à la mode, celui de Mme Campan, à Saint-Germain. » Mme Campan, dans une lettre à Mme Louis Bonaparte, définissait ainsi son caractère : « c’est un composé bizarre de faculté pour apprendre, d’amour-propre, d’émulation, de paresse, d’amabilité, de justesse d’esprit, de légèreté, d’orgueil, de piété. Voilà bien des choses à mettre à leur place. » — « Au physique, ajoute M. de Saint-Amand, Mlle de Beauharnais était fort agréable. Elle avait une jolie taille, un visage expressif, un teint éclatant, des yeux d’un bleu très vif, des cheveux d’un beau blond et un son de voix charmant. Ajoutez à cela des manières distinguées, de l’esprit naturel, de la gaîté, de l’entrain et infiniment de séduction. » — La Cour de l’impératrice Joséphine, par Imbert de Saint-Amand.