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moralité, a changé sous l’influence des derniers événemens, et les chancelleries cèdent aujourd’hui à de nouvelles impulsions. » Ce langage sibyllin n’avait rien de rassurant.

L’Autriche se sentait acculée ; elle était inquiète, comme en 1807, lorsqu’elle cherchait à pénétrer le secret des entretiens de Napoléon Ier et d’Alexandre Ier, qui, deux ans après, devaient provoquer la guerre et la forcer, après de sanglantes défaites, à livrer au vainqueur, comme rançon, l’une de ses archiduchesses. — Sa sécurité était en péril ; la réconciliation avec la Russie s’imposait à sa politique. Aussi, sa diplomatie s’était-elle fiévreusement mise en campagne, pour faire oublier à la cour de Pétersbourg ses défections passées et renouer avec elle, serait-ce au prix de sacrifices, l’ancienne intimité. Elle se flattait que sa tâche serait facilitée par le rétablissement des rapports personnels entre les deux souverains. C’est dans cet espoir, et pour atténuer l’entrevue d’Alexandre II et de Napoléon III, qu’elle avait sollicité et fini par obtenir, à son tour, une entrevue. François-Joseph s’était adressé directement à l’empereur de Russie ; il l’avait fait en termes si pressants qu’une fin de non-recevoir eût été l’équivalent d’un parti-pris d’hostilité. Le prince Alexandre de Hesse, envoyé à Varsovie, avait réglé, à la suite de cet échange de lettres, la date et le lieu de la rencontre : Alexandre II, après avoir conféré avec l’empereur des Français à Stuttgart, devait se rencontrer le surlendemain avec François-Joseph à Weimar ; la seconde entrevue devait être l’épilogue de la première et, aux yeux de l’Europe, la neutraliser.

Le roi de Prusse n’était pas satisfait ; il aurait voulu réunir les deux souverains dans sa capitale, présider à leur réconciliation et renouer avec eux la confraternité de 1813 ; il en coûtait à son amour-propre de ne pas figurer de sa personne dans ces rencontres impériales. « Nous avons décliné son invitation, nous disait plus tard le prince Gortchakof; nous avons voulu ménager les susceptibilités de la France, et éviter les commentaires qu’aurait pu provoquer la réunion à Berlin des trois derniers représentans de la sainte-alliance, qui, dorénavant, a cessé d’exister ; » et il ajoutait : « On a parlé aussi de Darmstadt, mais nous n’avons pas accepté davantage ce rendez-vous, parce que, à si courte distance, François-Joseph aurait peut-être été tenté de pousser jusqu’à Stuttgart, et nous ne voulions pas que sa présence pût atténuer l’importance ou altérer le caractère de notre entrevue avec l’empereur Napoléon. Aussi mon maître a-t-il fait dire à l’empereur d’Autriche qu’il lui laissait le choix entre Varsovie et Weimar, ces deux villes, l’une et l’autre, faisant partie de son itinéraire. »

Le prince Gortchakof était rancuneux ; il se vengeait en toutes circonstances, par des blessures à l’amour-propre autrichien, des