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pas de rendre hommage à un Bonaparte et de jouer son jeu ; ils faisaient ressortir, à titre de contraste, la fierté de l’empereur d’Autriche, qui seul restait dans son indépendance et sa dignité. C’était le dédain du renard de la fable.

Le cabinet de Vienne, en réalité, ne savait plus à quoi se reprendre. Toutes ses combinaisons avortaient. Il avait au lendemain du congrès de Paris lié partie avec l’Angleterre pour empêcher l’union de la Moldavie et de la Valachie, et, à sa stupéfaction, il apprenait, le 6 août, que, sur une invitation de la reine Victoria, Napoléon III partait pour Osborne[1]. L’Angleterre lui faussait compagnie au moment le plus critique; elle avait d’autres soucis que les principautés danubiennes, elle courait au plus urgent. Les Indes étaient en pleine insurrection[2] ; ce n’était pas l’heure de se brouiller avec la France. D’ailleurs, l’empereur, loin d’exploiter sa détresse, lui donnait des témoignages non équivoques de son bon vouloir ; il lui offrait spontanément de laisser passer ses renforts à travers notre territoire, pour leur permettre de paraître plus vite sur le théâtre de la révolte. L’alliance de 1854, qui depuis la paix de Paris ne battait plus que d’une aile, au lieu de se rompre, s’était brusquement ressoudée, et à l’entrevue d’Osborne allait succéder celle de Stuttgart !

La déception fut d’autant plus profonde à Vienne que la Prusse et la Sardaigne se prononçaient, sans dissimuler leurs arrière-pensées, en faveur de l’union moldo-valaque, et que déjà, dans la presse française, on agitait la question italienne. L’Italie était la corde sensible du cabinet autrichien ; ses journaux n’admettaient pas qu’il y eût une question italienne. « l’Europe, disaient-ils, n’a pas le droit de s’immiscer dans les affaires de la péninsule; les traités de 1815 ne sont pas moins sacrés que le traité de 1856. » — « La question italienne, répliquait la Patrie, dont on connaissait les inspirations, ne sera peut-être pas posée à Stuttgart ; nous désirons qu’elle le soit le plus tard possible, mais elle le sera certainement un jour, et mieux vaudrait qu’elle le fût par la diplomatie que par la révolution. La politique, ajoutait-elle à titre de

  1. Journal de lord Malmesbury, 10 août 1857. — « L’empereur et l’impératrice, accompagnés des Walewski, sont arrivés à Osborne le 6. Le motif de leur visite demeure secret, mais je suis persuadé qu’il s’agit de discuter la question des principautés danubiennes. » — 14 août. « Lord Palmerston a cédé ; c’est l’opinion de l’empereur qui a prévalu. La France, d’accord avec la Russie, la Prusse et la Sardaigne veut l’union des deux provinces sous un même hospodar. Au lieu de perdre du temps, Napoléon est venu en personne, et la question a été immédiatement réglée.»
  2. Journal de lord Malmesbury, 27 juin 1857. — La révolte des cipayes de l’armée du Bengale a pris de l’extension, trois régimens sont en rébellion ouverte; ils ont été rejoints à Delhi par d’autres régimens indigènes; ils ont pillé et massacré tous les Européens. Le massacre de la garnison de Cawnpore est confirmé. »