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redoutait leur action. Il a reconnu depuis qu’il eût suffi d’un seul échec de l’armée prussienne pour leur permettre de provoquer une intervention qui eût changé la face des événemens. Si les puissances neutres restèrent insensibles à nos appels, la France, au sortir de ses épreuves, retrouva du moins intacts, grâce à l’énergique vigilance de sa vieille diplomatie, les droits et les privilèges de sa politique extérieure.

Ces réflexions, dégagées de tout esprit de parti, émises sans arrière-pensée personnelle, ces réflexions, dis-je, sur l’urgence de rendre à notre diplomatie décimée « son esprit de profession, » et par sa stabilité son autorité, ne paraîtront ni inopportunes ni déplacées dans ces récits des temps passés, à l’heure où la France, isolée, sans point d’appui certain, en face d’adversaires acharnés, redoutables, peut être appelée d’un instant à l’autre à défendre l’intégrité de son sol.


II. — LE ROI DE WURTEMBERG[1].

Une chance heureuse m’avait donné en partage, à la fin de 1856, une des plus charmantes résidences d’Allemagne, et à peine installé dans mon poste, j’eus la fortune d’assister à un événement mémorable : l’entrevue de Napoléon III et d’Alexandre II. Je menais à Stuttgart, après avoir été initié à Berlin aux grandes affaires, lors de la reconnaissance de l’empire et pendant la guerre d’Orient, une vie douce et paisible, contemplative plutôt que militante. En peu d’heures je pouvais, sans recourir à l’autorisation du département, entre l’expédition de nos deux courriers mensuels, retrouver sur la terre natale les joies du foyer paternel. L’Alsace, au lieu d’être un sujet de discordes, était alors un trait d’union intellectuel précieux, fécond, entre deux peuples faits pour s’estimer et se comprendre : des deux rives du Rhin on pactisait fraternellement. Qui pouvait prévoir que l’une des plus françaises de nos provinces serait, avant peu d’années, la victime expiatoire des erreurs de notre politique, et que l’Allemagne, à juste titre si fière de sa civilisation, appliquerait implacablement, au lieu d’être patiente el généreuse, la spoliation et la proscription à des populations douces, inoffensives, dont le seul crime est de regretter un passé prospère !

C’étaient d’heureux temps, sans nuages, sans soucis du lendemain. Une ère nouvelle s’annonçait au monde. Le congrès de Paris venait de proclamer de généreux principes ; il avait rompu avec l’esprit de conquête, aboli la course, abaissé les barrières qui

  1. Né en 1781, mort en 1864.