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la couleur et les explications que réclamait l’intérêt des affaires qu’il avait à traiter. »

Tels étaient les principes et les idées qui présidaient autrefois à l’organisation du département qui a pour mission de défendre au dehors les intérêts traditionnels de notre politique et de veiller à la sécurité et à l’intégrité de notre territoire. Ce n’est qu’en revenant à ces vieilles et sages coutumes que nous arriverons à mettre au service de la France des agens expérimentés, et non en subordonnant nos ambassades et nos légations aux exigences si variables de notre politique intérieure.

Si, par principe d’éducation, les gouvernemens étrangers font volter leurs attachés et leurs secrétaires à travers le monde pour leur permettre d’amasser des connaissances et d’apprendre leur métier, ils se gardent bien de déplacer sans cesse leurs ambassadeurs ; ils leur laissent le temps de s’orienter, de prendre racine ; ils les immobilisent, en quelque sorte, dans les postes où ils ont réussi, après de longs séjours, à se créer de sérieuses influences, d’utiles relations. Le corps diplomatique accrédité à Paris en est la preuve la plus frappante ; il ne se renouvelle guère que par voie d’extinction[1], tandis que nos chefs de mission, en se succédant sans désemparer, enlèvent à notre politique la force que donnent l’esprit de suite, l’imité d’action. Certes, nos agens, bien que nouveaux-venus, sont toujours accueillis avec courtoisie, car, à défaut d’alliés, ils ont derrière eux deux millions de soldats disciplinés, aguerris, dont l’armement donne à réfléchir aux plus entreprenans. Notre armée, l’œuvre de tous, aucun parti ne lui a marchandé les moyens de grandir, de se perfectionner ; elle est aujourd’hui à la hauteur de toutes les tâches, elle est notre espoir, notre consolation au milieu de nos dissensions; elle sera notre salut au jour des épreuves. C’est elle, à vrai dire, que représente notre diplomatie ; elle donne à son langage l’autorité sans cesse compromise par nos

  1. Le baron de Beyens et le comte de Moltke sont à Paris depuis un temps immémorial ; le comte Nigra y serait encore, car il s’y était fait de nombreux amis, s’il n’avait pas été mêlé d’une façon trop intime à la politique extérieure si malheureuse, du second empire. L’Angleterre, de 1851 à 1887, n’a eu que deux ambassadeurs en France, lord Cowley et lord Lyons, qui, tous deux, ont dû réclamer avec instance leur mise à la retraite. Il serait difficile et navrant pour notre patriotisme de donner la liste des diplomates français qui dans les vingt dernières années se sont succédé, sans raison plausible, dans nos missions extérieures. — Deux ministres éclairés, M. Flourens et M. Goblet, ont compris les inconvéniens qu’entraînent d’incessans remaniemens; ils n’ont procédé qu’avec une extrême circonspection à d’urgentes nominations. Il faut leur savoir gré, surtout, d’avoir rendu et maintenu à la direction politique, dont le titulaire, M. Francis Charmes, est un homme de grand talent, le personnel qu’on lui avait inconsidérément enlevé. Le directeur tient les agens sur les fonts baptismaux, il suit leurs travaux, il connaît leurs aptitudes, seul il est en situation de défendre leurs droits et de faire valoir leurs services.