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de Maroc, il n’y avait plus un coin de terre, une anfractuosité de rocher, un pic de l’Ouarensenis, du Djurdjura, des Babors ou de l’Aurès, une de ces oasis sahariennes semées comme des îles parmi les ondes fauves de la mer de sable, qui n’acceptât ou ne subît la suprématie française.

La voilà donc terminée, cette lutte de vingt-sept ans, soutenue avec tant d’énergie de part et d’autre. Gloire aux vainqueurs ! Honneur aux vaincus! Rien n’est respectable comme un peuple fier qui a défendu vaillamment son indépendance. Tout lui est dû de ce que le conquérant a de noblesse, d’humanité, de charité chrétienne dans le cœur, modération, justice, bienveillance, encouragement, bon exemple. La France est généreuse ; l’Arabe et le Kabyle sont capables de reconnaissance.

Un jour du mois de janvier 1857, la colonne du général Desvaux passait à Traacine, non loin de Tougourte. Tout le pays était en liesse. Par l’industrie des Français, un puits artésien venait d’être foré dans cette petite oasis; à lui seul il donnait le double de ce que débitaient d’eau tous les puits arabes. Un marabout de l’ordre de Tedjini, un hadj, depuis peu revenu de La Mecque, Si-Nâmeur, présidait à l’inauguration de la source jaillissante ; il était fier du succès parce que c’était lui qui avait eu l’honneur de donner le premier coup de sonde. Après avoir salué selon l’usage et remercié le général, il se tourna vers les Arabes et leur dit : « Vous avez été autrefois alarmés lorsqu’on vous annonça l’arrivée des Français dans l’Oued-Righ ; mais bientôt vos inquiétudes ont fait place à la joie ; car ils venaient, non pour vous faire la guerre, mais pour vous donner une paix que vous ne connaissiez pas depuis longues années. Ayez donc de la reconnaissance pour ce gouvernement, et que vos enfans se rappellent ce jour qui leur fournit la preuve des bonnes intentions de la France. Je viens de traverser beaucoup d’états musulmans; j’ai trouvé partout injustice et violence, les routes livrées au brigandage. Je n’ai respiré librement que depuis l’heure où j’ai mis le pied sur le territoire soumis à l’autorité française. »

Après la conquête du sol, achevée cette année-là même, c’était la conquête morale qui commençait. Depuis trente ans, la France, la France algérienne surtout, a-t-elle fait tout ce qui était de son devoir absolu pour l’étendre ?


CAMILLE ROUSSET.