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« Comme preuve de vos bonnes intentions, vous me livrerez les otages qui vous seront désignés. Je les garderai jusqu’au paiement intégral de la contribution, et même plus longtemps, selon votre conduite. À ces conditions, vous serez admis sur nos marchés comme les tribus soumises. Vous pourrez travailler dans la Métidja et gagner, pendant la récolte prochaine, de quoi payer votre contribution de guerre et bien au-delà. Pour vous convaincre dès à présent que nous ne voulons ni emmener les femmes et les enfans, ni vous prendre vos terres, comme on vous a dit que nous avions coutume de faire, vous rentrerez dans vos villages immédiatement, aussitôt que vos otages nous seront livrés, vous pourrez circuler en liberté à travers les camps avec vos femmes et vos enfans, et l’on ne prendra à personne ni sa maison ni son champ sans lui en payer la valeur. »

Les visages impassibles des Kabyles ne trahissent aucun sentiment de regret ni de satisfaction.

« Vous pourrez, comme par le passé, vous choisir des amines mais ils devront être reconnus et investis par la France. Vous pourrez même garder vos institutions politiques de village, pourvu que vos chefs sachent vous maintenir en paix. »

À ces dernières paroles, ajoute la relation, un frémissement de joie courut parmi ces hommes jusque-là si impassibles. Des conversations à demi-voix s’engagèrent entre eux, et il était facile de voir, à leurs gestes et à leurs physionomies, toute la satisfaction que leur causait cette promesse inattendue. Puis, l’orateur reprenant la parole :

« Avons-nous bien compris? Nous conservons nos institutions? — Oui. — Nous nommerons nos chefs comme par le passé? — Oui; seulement, comme nous ne voulons pas que ce soient des hommes de désordre, ces nominations seront approuvées par nous. — Vous ne nous donnerez pas d’Arabes pour nous commander? — Non. — Alors vous pouvez compter sur notre soumission, et demain nous déposerons entre vos mains la contribution de guerre. » Ainsi se termina la conférence.

Le succès était notable; il avait été payé d’ailleurs assez cher. Des deux divisions qui avaient attaqué le contrefort des Akerma, la division Mac-Mahon avait le plus souffert; le chiffre de ses pertes était de 31 morts et de 233 blessés; la division Jusuf ne comptait que 3 morts et 35 blessés. La division Renault, qui avait agi seule, sur la droite, avait eu 210 hommes atteints, dont 33 morts.

Le 28 mai, la division Mac-Mahon alla s’établir sur la position élevée d’Aboudide, en avant des deux autres, dont les bivouacs se développaient sur cinq lieues d’étendue. Après avoir frappé sur les Kabyles un coup de force, le maréchal Randon avait décidé de porter