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orientale, aux arêtes dénudées, veinées de couches de neige, ayant pour auréole des cercles de nuages. Sur la gauche et derrière l’armée, sous une atmosphère vaporeuse et enflammée, la mer d’Afrique.

« Le père Régis officiait. Supérieur de la Trappe de Staouëli, il y avait dans la nature et dans le caractère de ce moine comme un reflet d’Urbain II, de Pierre l’Ermite et de l’évêque d’Antioche.

« Les lignes de troupes encadraient le terrain : en avant des soldats étaient placés les officiers. Derrière les troupes, sur les versans des collines, on apercevait, au milieu des bouquets de lentisques, de myrtes et de lauriers-roses, les lentes du camp et, plus loin, sous les hêtres et les oliviers séculaires, des groupes de Kabyles, silencieux, étonnés, garnissaient les ogives de verdure de cette immense basilique. Officiers et soldats étaient recueillis pendant cette cérémonie grandiose ; mais ce recueillement se changea en une véritable émotion au moment où le prêtre éleva l’hostie sainte au-dessus des drapeaux et des têtes abaissées, au bruit du tambour dominé par la grande voix du canon. On eût dit l’Église française prenant possession de cette terre qui, depuis l’épiscopat de saint Augustin peut-être, n’avait point été foulée par le pied d’un chrétien. »

C’est maintenant Bosquet dans une lettre à sa mère : « Voici une solennité comme la France n’en saurait offrir. Pour y assister, il faut avoir passé par les rudes montagnes des Babors, à travers leurs brouillards, leurs affreux chemins et les fiers montagnards qui les défendaient. Lorsque les deux divisions du corps d’armée ont été réunies vers l’embouchure de l’Oued-Agrioun, la conquête de cette portion de la Kabylie étant finie, les chefs montagnards soumis et assemblés au bivouac, il a été question de nommer de nouveaux cheikhs dans toutes les tribus et de donner à chacun d’eux le burnous rouge de commandement ; c’est tout simplement la pourpre romaine, un souvenir des anciens temps qui se continue en Afrique.

« Cette cérémonie était pleine de grandeur et complète de toutes façons : le paysage grandiose, avec ses montagnes sombres et ses profonds ravins d’un côté, la mer de l’autre, et, sur le terrain, nos troupes avec leurs drapeaux, leurs fanfares et les visages bronzés de nos soldats. Rien n’y manquait pour produire une impression profonde. A côté du plateau où se faisait l’investiture des cheikhs s’élevait un autel chrétien, dressé sur des tambours, soutenu par des armes, enveloppé de lauriers-roses et surmonté d’une croix taillée dans la forêt et formée de deux grosses branches de vieux chênes lièges. Il est impossible de rien imaginer de plus imposant.

« Le général en chef, ayant à ses côtés les commandans des deux divisions et plus loin tous les chefs, devant lui les Kabyles, a prononcé quelques paroles répétées par un interprète, et puis, au son