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Une autre chose n’est guère moins neuve dans Pepa, c’est la qualité de la langue ou plutôt du dialogue. Dirai-je que j’y trouve du réalisme, et du meilleur? Le mot est si mal famé que je craindrais de m’en servir. Et cependant, ce que tous les personnages de Pepa ont bien de rare et de particulier, c’est de se tenir en scène, et d’y parler surtout, comme ils le feraient, comme ils le font dans la vie réelle. Où donc ai-je lu que quelques-uns des « mots » dont la pièce est remplie étaient des mots de « moraliste, » n’étaient pas des mots d’auteur, des mots de théâtre, de ces mots enfin qui ne sortent point des caractères ou des situations, mais du désir d’amuser, ou de celui de briller aux dépens du sujet ? A la place de MM. Meilhac et Ganderax, je n’imagine pas de critique dont je fusse plus content, ou plus fier même. Quoi ! la pièce a paru spirituelle, — et en effet elle l’est, — et on a trouvé qu’au lieu d’y être appliqué du dehors, l’esprit, non-seulement n’en coûtait rien à la justesse de l’observation, mais ne servait qu’à la souligner, n’en était que l’expression ou la suite? N’est-ce pas comme si l’on disait que tout le monde y parle comme il doit parler, sans embarras ni recherche, avec ce seul choix de mots qui fait la politesse de la conversation, du même ton ou du même accent que dans un salon, sans aucune de ces exagérations ou de ces inflexions qui nous rappellent que nous sommes au théâtre? Mais comment pourrait-on mieux louer l’exactitude ou la vérité de l’observation? j’ajouterai seulement qu’il y a là, dans cette simplicité élégante, — et en même temps audacieuse, plus audacieuse qu’elle n’en a l’air, — il y a une preuve que l’optique de la scène n’exige point toujours le grossissement que l’on dit; qu’un public plus raffiné, plus blasé, si l’on veut, qu’il y a trente ou quarante ans, n’a plus besoin aujourd’hui qu’on l’avertisse, en quelque sorte, matériellement, qu’il va entendre des choses fines ou spirituelles ; et qu’enfin les acteurs et le public, étant déjà presque de plain-pied, il ne dépend plus que du talent des auteurs de nous donner des imitations de la vie plus approchées, plus fidèles, et de jour en jour plus conformes à la nature et à la vérité.

Avec ce réalisme discret, j’aime encore dans Pepa une délicatesse de sentimens qui n’est guère plus fréquente aujourd’hui sur la scène que cette imitation du ton de la conversation mondaine. Toujours en raison des mêmes préjugés, et comme si nos acteurs nous parlaient encore à travers le masque, on ne leur donne à représenter que des situations « fortes » et à traduire que des sentimens « simples, » ou même rudimentaires, pour ne pas dire un peu grossiers. Vous savez qu’il y a une sentimentalité, et des vertus de commerce qui se ressemblent chez tous ceux qui les ont, pour qu’aussi bien l’échange en soit possible. Mais toute une partie de nous-mêmes, et la plus intéressante,