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n’invoquait pas avec une telle détresse, « du pauvre le seul ami fidèle, » le sommeil, cette trêve nocturne à la vie. Le chant d’Auber n’était que mélancolique ; celui de M. Tschaikowsky est déchirant.

Une femme a dit récemment que le compositeur russe ne faisait que de la musique gris perle. C’est être difficile que de ne pas trouver à de semblables lieder une couleur assez intense.

Que dirait donc cette dame d’une autre musique, vraiment grise, celle-là, la musique à Athalie?

« Je m’aperçus, dit Racine dans la préface d’Esther, la première de ses tragédies avec chœurs, « qu’en travaillant sur le plan qu’on m’avait donné, j’exécutais en quelque sorte un dessein qui m’avait souvent passé dans l’esprit, qui était de lier, comme dans les tragédies anciennes, le chœur et le chant avec l’action, et d’employer à chanter les louanges du vrai Dieu cette partie du chœur que les païens employaient à chanter les louanges de leurs fausses divinités. »

« Quelques personnes, dit-il encore, parlant cette fois d’Athalie, ont trouvé la musique du dernier chœur un peu longue, quoique très belle. »

Voilà bien la double impression que nous a laissée, à cette dernière reprise, comme il y a quelques années, la partition de Mendelssohn : les louanges du vrai Dieu ; une musique très belle, mais encore plus longue.

On connaît la scène religieuse de Joseph, où les jeunes filles Israélites viennent chanter avec conviction ce couplet :


L’épouse sensible et féconde,
La vierge ignorant sa beauté,
Doivent au créateur du monde
L’amour et la maternité.


Le cantique est très beau. Qu’on imagine un cantique pareil, ou du moins analogue, repris de demi-heure en demi-heure, et l’on aura une idée de la musique d’Athalie.

Récités seulement, ces chœurs ralentissent déjà l’action; chantés, ils la paralysent, et l’action d’Athalie est assez intéressante, assez rapide aussi, pour qu’on regrette et qu’on s’irrite de la voir entraver. L’impression dramatique souffre de ces interruptions périodiques et de ces monotones oraisons. On voudrait séparer de cette pièce de théâtre cette musique d’oratorio, alléger le chef-d’œuvre littéraire des hors-d’œuvre musicaux.

Oui, hors-d’œuvre et rien de plus : chœurs nobles, harmonieux, écrits dans un style pur, dans un sentiment religieux, où se rencontrent des pages charmantes ou vigoureuses, où l’on retrouve maintes fois la grave piété de l’auteur de Paulus et d’Élie; mais, en somme, musique accessoire,