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et en 1701, demanda et obtint de l’assemblée du clergé de France la condamnation ou le renouvellement de la condamnation des propositions jadis attaquées par les Provinciales. Et pour Massillon, qui fit partie de cette congrégation de l’Oratoire qui devait demeurer l’un des derniers foyers de l’esprit janséniste, sait-on bien qu’aujourd’hui même il est recommandé aux fidèles de ne pas lire ses Sermons, sans quelques précautions? Ils sont trop jansénistes! et, comme autrefois, on craint que, dans les âmes faibles, en jetant des semences de découragement, ou de terreur de la justice divine, ils ne fassent désespérer de la vertu, du salut, et de la religion.

Ainsi, de tous les côtés, on le voit, nous retrouvons le jansénisme et son influence. Le siècle en est comme imprégné. Une seule influence fait vraiment échec à la sienne, et à peine peut-on dire que ce soit celle du cartésianisme : ce serait plutôt celle d’une espèce de philosophie de la nature qu’incarnent les La Fontaine et Molière. Il continue cependant d’exister une société de cartésiens, et, comme nous l’avons dit, l’espèce a bien pu s’en cacher, elle ne s’est pas perdue. La destruction de Port-Royal et généralement les mesures de persécution dirigées contre le jansénisme vont avoir maintenant pour conséquence d’en préparer, sans le vouloir, le développement. A mesure que le siècle approche de sa fin, l’influence de Pascal décroît, celle de Descartes se substitue insensiblement à la sienne. C’est le XVIIIe siècle qui commence, et avec lui le triomphe de toutes les idées que le jansénisme a bien pu interrompre et gêner dans leur développement, mais non pas réussir à détruire.


V. — LA RENAISSANCE DU CARTÉSIANISME.

Si l’on ne voit pas, en effet, tout d’abord, les liaisons du XVIIIe siècle avec le XVIIe siècle, c’est qu’en général on ne reprend pas la question d’assez haut, ou d’assez loin. Mais pour ce qui regarde en particulier la fortune du cartésianisme, il semble qu’on soit dupe d’une véritable illusion d’optique. Les « philosophes » du XVIIIe siècle, à l’exception de Buffon peut-être, n’ont pas assez de dédain pour Descartes, et parce qu’ils se sont mis à l’école de Bacon, de Locke et de Newton, ils se proclament et ils se croient indépendans de leurs vraies origines, nouveaux ou étrangers dans leur propre patrie. Au regard de Voltaire lui-même, — en qui, comme l’on sait, quelque timidité ou quelque respect humain se mêle à beaucoup de hardiesse, et la superstition du siècle de Louis XIV à un pressentiment si vif de l’avenir, — Descartes n’est qu’un esprit « rare et singulier; » mais pour Diderot et pour les encyclopédistes, l’auteur du Discours de la