Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 90.djvu/425

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quand il essaie de pénétrer le secret de notre nature. — « Le cœur a son ordre l’esprit a le sien, qui est par principes et par démonstration : le cœur en a un autres On ne prouve pas qu’on doit être aimé en exposant d’ordre les causes de l’amour : cela serait ridicule. » — Là, dans cette distinction, est le principe de la philosophie de Pascal. Le cartésianisme a mutilé la nature humaine en croyant l’exalter, et en n’attribuant la certitude qu’aux opérations de la raison ou de l’entendement, il a séparé ce qu’au contraire il fallait unir. L’homme n’est pas une intelligence pure, il est aussi une volonté, et cette volonté, le cartésianisme l’énerve, ou plutôt il l’anéantit, en lui enlevant son objet, qui est de vivre.

C’est qu’aussi bien la contradiction n’est pas moins formelle entre leur conception à tous deux de la vie, et tandis que Descartes, comme on l’a vu, conclut à l’optimisme, je ne connais guère, dans l’histoire de la philosophie, de pessimiste plus sincère et plus convaincu que Pascal. D’où vient à ce propos la relation singulière, mais constante, qu’il semble qu’il y ait dans l’histoire entre le pessimisme et la philosophie de la volonté? Quoi que l’on en ait dit, ceux qui ont estimé la volonté au plus haut prix, depuis Bouddha jusqu’à Schopenhauer, sont aussi ceux qui nous ont tracé de l’humaine condition le plus triste tableau, comme si ce qu’elle a de plus lamentable était la disproportion du vouloir au pouvoir. Mais, quoi qu’il en soit de cette relation, ce que l’on peut et ce que l’on doit dire c’est que, si le christianisme repose lui-même sur une conception pessimiste de la vie, conçue comme un temps à la fois d’expiation et d’épreuve, le jansénisme en est la forme aiguë; et les Pensées de Pascal en sont l’expression d’autant plus éloquente qu’elle est arrivée jusqu’à nous plus naturelle, moins préparée pour la lecture, et plus voisine enfin de sa source. Avec le plus pénétrant des interprètes de Pascal, j’ai plus d’une fois essayé de montrer que le « pessimisme » faisait bien le fond des Pensées, et l’on a contesté le mot, mais on n’a point ébranlé la chose. Pascal n’est point sceptique, et, tout en attaquant l’autorité de la raison, il la reconnaît, — dans la physique ou dans la géométrie, — mais il est pessimiste, parce que la raison est impuissante à la solution des seules questions qui l’intéressent. Il l’est encore, parce qu’il est janséniste, et que si, dans l’état présent, in statu naturœ lapsœ, la condition de l’homme est misérable, il croit, avec Jansénius, qu’elle l’est presque plus encore dans l’hypothèse de l’état de nature : in statu naturœ purœ. Mais il l’est surtout parce qu’il est chrétien, et qu’un chrétien cesserait de l’être s’il pouvait croire à la bonté de l’homme et au prix de la vie.

Que de différences ou que de contradictions ne pourrait-on pas