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l’homme, j’ai vu que ces sciences abstraites ne lui sont pas propres, et que je m’égarais plus de ma condition en y pénétrant que les autres en les ignorant. »

Ce n’est pas tout : non-seulement la raison nous trompe, mais elle nous trompe de la manière la plus dangereuse, en entretenant en nous un esprit d’opposition à la vraie religion. Sur quelque sujet qu’on l’interroge, ou elle faiblit, ou elle gauchit, ou elle se dérobe. Si elle s’estimait elle-même à son prix, mesuré par son impuissance, sa première démarche devrait donc être de reconnaître qu’il y a une infinité de choses qui la surpassent. Que fait-elle cependant? Parce qu’elle a découvert que c’est la terre qui tourne autour du soleil, la voilà qui prétend égaler son pouvoir à l’infinitude du monde, et elle établit des principes qu’elle étend jusqu’aux choses surnaturelles elles-mêmes, comme si « la contradiction était marque d’erreur » ou « l’incontradiction marque de vérité ! » Elle refuse d’admettre ce qu’elle n’entend point ; et elle n’entend pas qu’une religion raisonnable n’en serait plus une. Elle se sert de ses forces pour argumenter contre Dieu ; et elle ne comprend pas que ce Dieu ne serait pas Dieu si sa nature pouvait se circonscrire à la médiocrité de l’humaine raison. — « L’obscurité de notre religion prouve la vérité de notre religion, » — Et si nous croyions par raison, c’est alors que nous n’aurions vraiment plus de raisons de croire. Y a-t-il rien de plus contraire à l’esprit du cartésianisme, et, par exemple, pour la seule fois qu’il se soit essayé dans la religion, y a-t-il rien de plus contraire II, la prétention qu’il a affectée d’expliquer, — au moyen de sa méthode, — le mystère de la transsubstantiation ?

Non content cependant d’avoir ainsi détruit le pouvoir de la raison, c’est encore contre Descartes que Pascal rétablit l’intégrité de la nature humaine, en substituant à la raison le cœur, « avec ses raisons que la raison ne connaît point, » et l’autorité du sentiment à celle du calcul ou du raisonnement. Il n’y a pas de doute que le dernier fragment sur la distinction de « l’esprit de finesse » et « l’esprit de géométrie, » — celui qui fait ou qui devait faire partie du livre des Pensées, — soit dirigé contre Descartes et le cartésianisme. Ceux qui veulent réduire les choses de la morale et de la vie humaine à un très petit nombre de principes dont il n’y a plus alors, dans le silence et dans l’isolement de la vie méditative, qu’à déduire les conséquences, ce sont les cartésiens. Mais leurs adversaires, ce sont ceux qui, comme Pascal, savent que l’âme de l’homme ne se laisse pas ainsi manier, qu’il y a du mystère en elle et de l’incompréhensible, et que le pouvoir de la raison n’échoue nulle part plus misérablement que