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aux chrétiens contre ce « libertinage» même. Telle est du moins l’explication de la naïveté doctorale, si l’on peut ainsi dire, avec laquelle nous avons vu qu’Arnauld, successeur de Jansénius et de Saint-Cyran dans la direction polémique du parti, s’inscrivit de lui-même) sans en être prié, parmi les fauteurs ou les propagateurs du cartésianisme. Sous le déguisement de la philosophie, il ne reconnut pas dans le cartésianisme ce que l’on pourrait appeler, en termes théologiques, le démon de la concupiscence de l’esprit, libido sciendi, l’orgueil de savoir; et son étonnement ne fut égalé que par celui de l’excellent Nicole, lorsque Pascal le leur y eut montré.

C’est une question souvent agitée que celle de la « philosophie » de Pascal et de ses rapports, — comme aussi celle des rapports, personnels du futur auteur des Provinciales, — avec Descartes et la philosophie de Descartes. Pour l’éclairer, sinon pour la résoudre, ne suffirait-il pas de distinguer plus nettement qu’on ne le fait d’ordinaire plusieurs époques dans la vie de Pascal ? Un seul exemple montrera toute l’importance de cette distinction. Il y a deux fragmens célèbres de Pascal, l’un Sur l’esprit géométrique, et l’autre, la Préface sur le traité du vide, qui, depuis que Bossuet, dans son édition des Œuvres de Pascal, en a fait les trois premiers articles des Pensées, continuent de faire corps, pour presque tous les commentateurs, avec le livre des Pensées ; et, dans l’un comme dans l’autre, mais dans le second surtout, il n’est pas difficile de trouver un Pascal résolument cartésien. Descartes lui-même n’a exposé nulle part avec plus de force et de précision l’idée du progrès, ni nulle part affirmé plus énergiquement les droits de la raison et de la vérité. Mais bien loin, — et quoiqu’on les imprime habituellement avec elles, — de faire corps avec les Pensées, dont les premières ne sauraient guère avoir été jetées sur le papier avant 1658, ces fragmens leur sont l’un de dix et l’autre de trois ou quatre ans antérieurs, et conséquemment ils ne prouvent que pour la jeunesse de Pascal. Or, Pascal, cartésien en 1648, ne l’était plus dix ans plus tard; et les raisons pour lesquelles il ne l’était plus, on pourrait dire que ce sont celles qui, en le rendant chrétien, l’ont fait en même temps janséniste.

Fils d’un père épris lui-même de science et de philosophie, élevé dans un milieu social dont la composition ne différait guère de celle du milieu où Descartes avait jadis vécu, lié d’amitié avec les correspondans, les émules ou les disciples de Descartes, les Le Pailleur, les Carcavi, les Roberval et les Fermat, avec quelques-uns aussi de ces libertins qui avait fait fête au Discours de la méthode, et plus jeune enfin que Descartes d’une trentaine d’années, Pascal;