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et Bourdaloue d’un système qui non-seulement rompait l’ancien accord de la foi et de la raison, mais les isolait l’une de l’autre, chacune en son domaine, et, finalement, qui transférait de la première à la seconde le gouvernement des choses du monde et de la vie? On le peut ; et je le crois dans une certaine mesure. Mais la vraie raison, c’est que la voix de Descartes, quand elle commençait à se faire entendre, a été comme étouffée par une autre voix plus forte, parce qu’elle était plus éloquente et plus passionnée que la sienne. Bien loin de n’en pas comprendre la portée, quelqu’un, au XVIIe siècle, a vu plus clair et plus loin dans le cartésianisme que Descartes lui-même. La doctrine a été brusquement arrêtée par quelqu’un dans sa course, et, pendant plus d’un demi-siècle, on put se demander, dans la lutte qu’elle soutint alors, si elle ne périrait pas tout entière. Ce quelqu’un, c’est Pascal.


III. — LA LUTTE DU CARTÉSIANISME ET DU JANSÉNISME.

Environ dans le même temps que Descartes, retiré en Hollande, y composait son Traité du monde, un autre homme, non loin de lui. Corneille, fils de Jean, plus connu sous le nom de Jansen ou Jansénius, évêque d’Ypres, en Flandre, élaborait son Augustinus, énorme et puissant in-folio dont les flancs recelaient de terribles tempêtes. Le livre parut en 1640, trois ans seulement après le Discours de la méthode, et le succès en fut grand. Mais, s’il devait demeurer la Bible du jansénisme, et, pour entendre les Pensées elles-mêmes de Pascal, si c’est toujours à l’Augustinus qu’il faut que l’on remonte, cependant ce n’est pas de lui que date la popularité du jansénisme. Ce serait plutôt de l’application qu’en fit et du résumé qu’en donna, trois ans plus tard, en 1643, dans son Traité de la fréquente communion, celui que son siècle devait appeler le grand Arnauld. Sainte-Beuve, en son Port-Royal, et depuis lui quelques-uns de ses contradicteurs, — parmi lesquels il convient de mentionner tout particulièrement M. L’abbé Fuzet, évêque aujourd’hui de La Réunion, — ont assez amplement raconté ces commencemens du jansénisme pour qu’il soit inutile d’y revenir. Ce que je regrette uniquement qu’ils n’aient pas marqué d’un trait assez profond, c’est l’opposition qu’il y avait, presque de tous points, entre l’Augustinus et le Discours de la méthode ; et il est vrai que c’est aussi ce que les contemporains de Descartes et de Jansénius eux-mêmes ne semblent pas avoir très nettement vu. Mieux que cela ! le secours ou l’appui que le a libertinage » ne pouvait manquer de trouver dans le cartésianisme, il y a jusqu’à des jansénistes qui n’ont pas compris d’abord que le jansénisme l’apportait