Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 90.djvu/398

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quelque chose m’a fait garder l’anneau. Vous allez me haïr,.. je le sens,.. vous me regardez d’une façon qui me le prouve... Cependant je n’ai pas peur... Je n’aurai plus jamais peur de rien... Je ne serai jamais...

Dering la saisit par les poignets et la força de se lever toute droite. L’anneau d’or tomba entre eux sur le parquet ciré.

— Si vous n’êtes pas folle, dit-il avec lenteur, vous êtes la plus cruelle des créature.

Mais ces paroles ne pouvaient impressionner Barbara.

Elle se tordit dans les tenailles humaines qui l’étreignaient, cherchant de droite à gauche la bague tombée.

— Il ne faut pas que je la perde, c’est tout ce que j’ai, répétait-elle. Ne me lâcherez-vous pas jusqu’à ce que je l’aie trouvée?

Il la repoussa rudement, avec un cri d’autant plus sauvage qu’il s’efforçait de le retenir. En ce moment, il sentait tout de bon qu’il la haïssait. La clarté du feu lui faisait horreur, comme quelque chose de funeste et d’odieux, tandis qu’elle s’attachait, mourante, aux longs cheveux roux de Barbara et aux lignes sinueuses de son corps qui rampait, cherchant toujours l’anneau.

— Je ne peux pas le trouver! dit-elle enfin en levant vers lui un regard découragé, à genoux, appuyée sur ses talons et les mains nerveusement enlacées. Disparu, lui aussi ! Il ne me reste plus rien. Dieu pourrait me laisser mourir...

— Peut-être pense-t-il que vous changeriez encore d’avis après la mort, dit durement Dering.

Sa seule réponse fut de reprendre ses recherches en murmurant par intervalles :

— Je ne peux pas le retrouver ! Je ne peux pas le retrouver! Et c’est tout ce que j’ai.

— Barbara, dit Dering après quelques instans de silencieuse attente, je tiens à vous bien comprendre... Vous voulez que je m’en aille? Vous voulez que tout soit fini entre nous?

— Je ne veux rien, répondit-elle en secouant la tête, je tâche seulement de faire ce qui est bien.

— Vous trouvez bien de ruiner la vie entière d’un homme pour quelque fantaisie morbide?

— Oh! vous ne savez pas ce que j’éprouve,.. vous ne pouvez le savoir... Il a dit que la mort ne nous séparerait pas, et elle ne peut nous séparer en effet. N’ai-je pas été sa femme, — sa femme !

— Croyez-vous que je ne comprenne pas? répliqua Dering avec rage. Combien de fois cette pensée ne m’est-elle pas venue ! Bon Dieu! les femmes sont-elles humaines? Je me le demande.

— Je veux faire mon devoir, reprit-elle défaillante, de grosses