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même où il se dispose à partir pour un dîner de garçons. Il croit tenir une lettre d’amour et glisse l’enveloppe fermée dans son sein, pour avoir la jouissance de la sentir toute la soirée contre sa chair avant de s’accorder la jouissance plus grande encore de la lire. Quelle déception ! Ayant lu, le malheureux reste atterré; il ne faut rien de moins qu’un vigoureux plongeon dans un bain froid pour le faire sortir de sa stupeur.

Le surlendemain, les journaux annoncent un horrible accident Arrivé à M. Dering. Il ne s’agit que d’un cousin de Jock; mais, avant d’être édifiée là-dessus, Barbara, éperdue, a télégraphié, le lien s’est renoué dans l’angoisse du moment; elle veut le revoir, le rejoindre ; bref, elle le rappelle, et, cette fois, elle fait démeubler sa chambre, reléguer au loin tout vestige du passé, elle-même brûle sa robe de mariée, les lettres de son mari, jusqu’à la miniature qu’elle portait à son cou.

— Adieu, dit-elle à toutes ces choses condamnées.

Maintenant, le charme est rompu ; rien ne l’empêchera sans doute d’être au nouvel époux qu’elle aime et qu’elle a choisi.

La voici vêtue d’une ample robe flottante de soie de l’Inde couleur fleur de pêcher dont les plis souples s’adaptent aux moindres mouvemens de son corps admirable ; elle tord sa magnifique chevelure en un nœud négligé ; en agitant ses mains au-dessus de sa tête pour les rendre plus blanches, renversée comme une sultane sur des coussins de pourpre, elle attend Dering. La scène qui suit est du plus beau naturalisme : on nous fait remarquer la dilatation des yeux flamboyans et des narines nerveuses de Dering, l’attitude des amans réconciliés, en face l’un de l’autre, comme deux tigres prêts à s’élancer... Il lui demande si elle l’aime tout de bon, et les protestations de s’ensuivre, entremêlées aux rugissemens, aux baisers. — Je t’aime, dit Barbara, plus que qui que ce soit, plus que je ne croyais pouvoir jamais aimer, plus que n’importe quoi sur la terre ou au ciel, vivant ou mort,.. ou mort,.. tu entends?..

Et, en somme, il lui faut donner beaucoup de preuves, car assez naturellement Dering doute et se méfie.


V.

Il était tard, dans l’après-midi de la semaine suivante, quand la plus violente averse les surprit pendant une promenade à cheval. Comme ils se trouvaient près de la jolie église gothique qui servait de paroisse à tout le voisinage, ils s’y réfugièrent, après avoir attaché leurs chevaux. Au bout de vingt minutes, Dering, voyant que