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l’orage. Barbara sait faire du thé excellent, elle est musicienne, elle parle argot presque aussi bien que Dering lui-même, tout en le querellant sur cette mauvaise habitude ; elle est, avec les caprices de sa nature nerveuse, vingt femmes séduisantes en une seule. Dering le lui dit et elle l’écoute sans colère.

A mesure que le froid de l’automne contrarie leurs promenades, ils se livrent dans le grand vestibule à des jeux d’enfans, et c’est ainsi qu’à la suite d’une partie de grâces, tout en se disputant pour une bagatelle, ils courent au-devant du dernier péril. Dering poursuit Barbara, l’attrape, la saisit, et l’étreinte, qui a été d’abord des plus innocentes, finit par un baiser décisif, à la suite duquel nous retrouvons ces deux êtres véhémens formant un groupe étrange devant la grande cheminée où ils sont venus, sans que ni l’un ni l’autre sache comment, Dering renversé dans un fauteuil, Barbara assise par terre contre son genou, le visage caché entre ses mains. La scène est très vive et du plus franc réalisme ; elle se termine cependant par ce cri de Barbara : — Vous n’êtes qu’un homme, vous ne savez pas quels sentimens complexes déchirent une âme de femme... Vous ne savez pas ce que c’est que de pécher contre les morts... Les morts, répète-t-elle en jetant un coup d’œil égaré autour d’elle; puis elle s’enfuit, s’arrachant aux bras qui veulent la retenir : — Non, non !.. Il y a une tombe entre nous!.. Il y a entre nous une tombe ouverte!..

Bientôt après, tandis que Dering cherche en vain le sommeil, poursuivi par le souvenir enivrant et cruel de cet abandon qui s’est terminé par un refus, Barbara se regarde au miroir, tout en dénouant ses cheveux, et elle dit à ce reflet d’elle-même : — Je sais ton nom, celui que te donnerait ton mari... Ton nom est Infidèle...

Et il lui semble qu’une autre bouche que la sienne l’ait prononcé, ce nom, et elle tombe à genoux, elle implore le pardon de Valentin, elle lui demande d’effacer ce baiser funeste, elle veut mourir de remords, de honte; elle va chercher dans une armoire sa robe de noces, son voile de mariée, elle passe la nuit à prier et à expier devant ces reliques sacrées, frissonnante sous sa chemise de nuit de batiste légère, tandis que les branches gelées s’entre-choquent au dehors et que se lamente le vent d’hiver.

Puisera-t-elle de la force dans une semblable pénitence? Elle peut s’en flatter pendant une semaine, mais Dering trouve moyen de se rapprocher d’elle. L’écrasant sur sa poitrine, il lui dit : — Je veux toute la vérité ici, cœur contre cœur. Avouez-le... Je devine la pensée morbide qui vous hante. Eh bien ! repoussez-la cette pensée,.. entendez-vous, entends-tu? Je te l’ordonne. Je suis ton amant, et je te commande de chasser ces pensées de vampire...