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avec la voix de son mari. Soudain, une bûche à demi brûlée s’écroula dans l’âtre. Comme Dering se baissait pour rassembler les tisons, Barbara leva les yeux vers lui involontairement et, presque aussitôt, il sentit avec stupeur contre son corps le contact doux et pesant d’un corps inanimé.


III.

La ressemblance entre John Dering et son cousin défunt Valentin Pomtret était aussi frappante que celle qui peut exister entre deux jumeaux. Autrefois, la différence d’âge empêchait qu’on la remarquât autant, mais les quelques années qui s’étaient écoulées depuis la mort de Valentin avaient amené John au point précis où se trouvait le mari de Barbara en quittant ce monde. La jeune veuve retrouvait donc en lui l’exacte reproduction physique de celui qu’elle aimait, les mêmes manières brusques, franches, originales, où perçait un grain d’égoïsme. Tantôt ce prodige lui inspirait une sorte d’horreur; tantôt c’était au contraire du ravissement; elle était heureuse au-delà de toute expression de revoir la figure de Val, elle était exaspérée en même temps qu’une créature humaine osât ainsi ressembler à l’objet unique de sa tendresse.

Chose inouïe, la miniature qu’elle porte contre son sein, dans un médaillon d’or, rappelle Valentin beaucoup moins que ne le fait le visage étranger de John Dering. Ce portrait qu’elle aimait naguère à contempler ne la console plus. Quand elle est seule dans sa chambre, « elle pleure, elle gémit, elle se parle à elle-même en lambeaux de phrases entrecoupées, tandis qu’elle erre de-ci de-là, en s’appuyant aux meubles, en écartant des deux mains ses cheveux de son visage; parfois, couchée à plat, elle tremble, les yeux fermés, ou bien elle s’élance d’un mur à l’autre avec toute la violence haletante et contenue d’une panthère prisonnière. »

Ceci nous donnerait peut-être suffisamment l’idée du caractère principalement physique des émotions de Barbara, sans le paragraphe suivant qui achève de nous éclairer :

« Comme elle se jetait épuisée dans un fauteuil près du feu, la large manche de son peignoir se releva, laissant voir la chair satinée du bras où courait le bleu des veines. Elle se courba et, poussant un cri aigu, se mit à caresser ce bras lentement contre sa joue. Elle se rappelait combien il avait aimé à baiser le dedans de son bras, quand elle portait cette même robe, et, tandis qu’une réminiscence chérie la faisait sourire, des révoltes se soulevèrent en elle avec la pensée qu’il était maintenant au-dessus de tels plaisirs charnels,