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IV,

Le procès qui se débattait en France, de 1830 à 1848, pour la construction des chemins de-fer, s’est reproduit, à divers intervalles plus ou moins rapprochés, pour les entreprises de gaz et d’eaux, aujourd’hui pour celles d’électricité, de téléphones, de tramways ; demain il se reproduira pour d’autres inventions que nous ne soupçonnons pas. Les différens pays ont inégalement profité de ces découvertes : elles n’ont plus à lutter contre la jalousie, l’accaparement de l’état central, mais contre l’accaparement ou la jalousie d’une autre forme de l’état, les municipalités. Les pays où l’on trouve le plus répandu et au meilleur compte l’usage et des tramways, et de l’éclairage électrique, et des téléphones, sont ceux en général où l’état se montre le plus discret et le plus bienveillant envers les entreprises libres. Il ne s’agit pas de chercher à les enrichir ; il s’agit seulement de ne pas poursuivre leur ruine systématique. Nous ne craignons pas de dire que, parmi les nations riches et de vieille civilisation, la France est l’une des plus mal partagées pour la possession et le bon marché de ces précieux instrumens d’usage collectif. Le gaz y coûte plus cher que partout ailleurs ; l’électricité commence à peine à éclairer quelques rues dans quelques villes ; les transports urbains y sont à l’état barbare ; les tramways, peu nombreux, n’y existent guère que dans les villes de premier ordre et dans quelques-unes seulement de second rang ; les compagnies qui se livrent à cette industrie, sauf deux ou trois peut-être sur tout l’ensemble de notre territoire, sont ruinées ; les capitalistes, qu’effraient ces échecs, ne se sentent aucune inclination à doter nos villes d’un réseau de communications urbaines perfectionnées. Le téléphone coûte à Paris deux ou trois fois plus qu’à Londres, à Berlin, à Bruxelles, à Amsterdam, à New-York. Ainsi, un grand pays se trouve, en plein XIXe siècle, ne profiter que dans une mesure très restreinte des progrès récens et nombreux qui ont transformé depuis cinquante ans la vie urbaine. Est-ce parce que l’état n’intervient pas assez ? Non, c’est parce qu’il intervient trop. Les municipalités qui le représentent usent à l’excès de leur double pouvoir de contrainte : la contrainte réglementaire et administrative, qui multiplie les injonctions ou les prohibitions, les charges en nature, et qui, parfois, soumet, sans aucune restriction, les compagnies à l’arbitraire variable des conseils municipaux ; la contrainte fiscale, qui de chaque société de capitalistes veut faire pour la municipalité une vache à lait inépuisable ; il faut y joindre encore ce sentiment étroit d’envie qui considère comme un attentat aux pouvoirs publics toute prospérité des compagnies particulières. Je ne