Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 90.djvu/367

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aussi des formalités, des charges, des services gratuits, qui faisaient beaucoup plus que compenser les subventions de l’état, quand l’état accordait des subventions. On ne comprenait pas qu’il est singulièrement avantageux pour un pays, par l’émulation et la confiance qui en résultent, que les sociétés qui les premières y introduisent un genre nouveau et fécond d’entreprises soient récompensées de leur hardiesse par un brillant et rapide succès.

Dans l’état d’esprit des membres du gouvernement et surtout des membres des chambres, l’exécution des grandes lignes, les plus productives, devait être longtemps différée. L’initiative privée devait se contenter de petits tronçons suburbains, comme le petit chemin de fer de Paris au Pecq, concédé, en 1835, à M. Pereire, exécuté en deux ans, sur une longueur de 19 kilomètres, ou comme les deux lignes de Paris à Versailles encore, concédées en 1835, livrées à la circulation, l’une en 1839, l’autre en 1840. Ce fut un tort que d’autoriser, dès le début, cette concurrence. La ligne de Versailles (rive gauche) fut ruinée : l’infime revenu net qu’elle donnait oscillait entre 0 fr. 43 et 1 fr. 84 pour 100 du capital engagé. Elle servit d’épouvantail aux capitalistes. Sans être prospère, la ligne de Versailles (rive droite) était moins misérable, gagnant entre 2 fr. 24 et 3 fr. 54 pour 100 du capital. Beaucoup plus heureuse était celle du Pecq, où le produit, par rapport aux frais d’établissement, variait entre 5.50 et 9 pour 100.

Il n’eût dépendu que du gouvernement que l’initiative privée se chargeât, dès cette époque, de quelques grandes lignes, au lieu de ces infimes tronçons. La politique étroite, envieuse, à l’égard des compagnies, avait presque arrêté le mouvement de construction des voies ferrées : au mois de janvier 1848, le bilan des chemins de fer en France se bornait à 4,702 kilomètres concédés, dont 1,830 seulement exploités. Ils avaient coûté 630 millions, dont 63 à peine avaient été fournis par le trésor : la recette brute kilométrique atteignait 45,000 francs, et la recette nette 22,000, représentant, en 1847, 7.17 pour 100 du capital de premier établissement. C’est assez dire que si, dès 1835, on avait su bien accueillir l’initiative privée, lui faire un sort équitable, lui accorder des concessions de longue durée, tout en se réservant un droit de rachat dans des conditions bienveillantes et une participation dans les bénéfices au-delà de 10 pour 100, la construction des chemins de fer en France, sans aucun sacrifice sérieux pour le trésor, eût été avancée de vingt ans. Même aujourd’hui, le trésor ne fait, quoiqu’il en dise pour les lignes ferrées, aucun sacrifice bien réel, puisque, s’il leur sert une centaine de millions de garanties d’intérêts ou d’annuités, il retire d’elles une somme moitié plus forte d’impôts ou de transports gratuits.