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différentes. Ils se sont complétés l’un l’autre et si bien unis qu’on les regarde presque comme inséparables. L’histoire des voies ferrées et de la vapeur témoigne hautement du manque d’esprit d’invention de l’état et de l’inépuisable fécondité, au contraire, de l’initiative libre.

Les chemins de fer sont beaucoup plus anciens qu’on ne pense. Un aventurier proposait récemment d’en célébrer le cinquantenaire : il raccourcissait de moitié leur âge. Bien longtemps avant que l’opinion publique générale en connût l’existence, ils fonctionnaient sur beaucoup de points. Ce que nous appelons les tramways, les tramways à marchandises, qu’on ne connaît guère plus, ont vu le jour au dernier siècle, silencieusement, sans attirer l’attention, dans les districts houillers de la Grande-Bretagne. Dans une des nombreuses sessions où la chambre des députés, sous le règne de Louis-Philippe, discuta, sans jamais aboutir, la question de l’établissement des voies ferrées, Arago avait déposé un rapport, en 1838, qui, à côté de beaucoup d’erreurs, contenait quelques observations frappantes. Il disait que « l’auteur inconnu » de la substitution du roulage ou du transport en voitures au transport à dos de cheval avait réduit par son invention le prix des transports au dixième du chiffre antérieur. Il voyait une amélioration aussi importante dans le remplacement des empierremens des routes ordinaires par des bandes de fer sur lesquelles porteraient les roues des voitures. Il avait calculé que, en atténuant ces résistances, « ces bandes ont en quelque sorte décuplé la force du cheval, celle du moins qui donne un résultat utile. « Il ajoutait que le poids placé sur un wagon est centuple de celui que le cheval qui le traîne peut porter sur son dos. Ce qu’ignorait Arago, c’est combien la pratique avait devancé l’observation du savant. « Un auteur inconnu » avait introduit, dès le milieu du XVIIIe siècle, et peut-être même bien auparavant, l’usage de rails, — En bois il est vrai, — dans les exploitations minières britanniques pour le transport de la houille. Habile à inventer, l’industrie privée l’est également à propager les inventions et à les perfectionner. En 1776, on pose dans une mine de Sheffield des rails en fer que l’on croit les premiers de cette espèce. Ce procédé se développe et s’étend rapidement, grâce à l’esprit d’émulation et d’initiative des entreprises libres. Vers 1820, on comptait, aux environs de Newcastle, 600 kilomètres de rails dans les galeries souterraines ou à la superficie des mines. Les wagons arrivaient jusqu’au bord de la Tyne et se vidaient d’eux-mêmes dans les navires. A l’autre extrémité de l’Angleterre, dans le pays de Galles, il existait à la même époque 400 kilomètres de voies ferrées desservant les houillères. C’était le tramway à marchandises ;