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Il est pourvu aux différens besoins de la nation avec beaucoup plus d’ordre, suivant la hiérarchie naturelle, c’est-à-dire le degré d’importance sociale des travaux; les plus importans, au point de vue de l’ensemble de la société, sont, en effet, les plus rémunérateurs. Cela ne veut pas dire que toute œuvre utile à une nation doit, de toute nécessité, être immédiatement et directement rémunératrice ; mais celles qui n’offrent pas de rémunération directe et immédiate sont évidemment moins utiles et moins opportunes que celles qui, dès le premier jour, peuvent récompenser les capitaux employés. Les 800 kilomètres de voie ferrée de Paris à Marseille offrent, pour le développement national, un intérêt bien supérieur à 2,000 ou 3,000 kilomètres de voies ferrées en Bretagne ou en Auvergne; 50 millions consacrés aux ports et aux docks du Havre ou de Marseille importent autrement à la prospérité nationale que 100 millions éparpillés sur trente ou quarante criques secondaires. En même temps que cet avantage technique, qui est considérable, on obtient aussi pour le crédit de l’état un avantage financier correspondant. L’état n’empruntant pas, son budget est moins chargé, assujetti à moins de fluctuations, son crédit est moins discuté. Ce qui fait l’énorme écart des cours entre les fonds consolidés britanniques et notre 3 pour 100 français, ce n’est pas tant la supériorité de richesse ou d’épargne de la Grande-Bretagne, car les deux pays à ce point de vue se valent presque, ni même l’infériorité des risques politiques auxquels nos voisins sont assujettis, c’est surtout que la Grande-Bretagne, depuis trois quarts de siècle, a presque cessé d’emprunter ; l’état français, au contraire, même en temps de paix, emprunte directement ou indirectement chaque année. Or les emprunts publics répétés, annuels ou biennaux, si solide que soit le crédit d’un état, produisent sur lui une action, en quelque sorte mécanique, déprimante. Un troisième avantage du système britannique, c’est que, l’intérêt personnel étant naturellement plus éveillé, cédant moins aux séductions de l’esthétisme, il y a bien des chances pour que les dépenses soient plus proportionnées au but actuel et réel de l’entreprise. Un autre avantage, plus grand encore peut-être parce qu’il est plus général, consiste dans le maintien des habitudes de l’association libre, de l’esprit d’initiative qui, lorsqu’on lui ferme, son champ naturel d’action, finit par s’alanguir, et qu’on ne peut plus réveiller lorsqu’on aurait besoin de lui. Enfin, un dernier caractère du système britanno-américain est d’être beaucoup plus conforme à l’équité. Si des erreurs ont été commises dans la conception ou dans l’exécution des travaux, si l’on a cédé à des entraînemens, commis des folies, chacun de ceux qui ont exalté l’entreprise et s’y sont associés supporte le poids des mécomptes et des pertes en proportion de ses propres fautes ou de sa propre crédulité, puisque