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Le second écueil que doit éviter l’état dans la réglementation préliminaire des travaux publics qui ne peuvent se passer absolument de lui, c’est le goût du monopole. Les Français sont grands monopoleurs. Leurs antécédens historiques et les tendances de leur esprit les y disposent. La centralisation séculaire et l’absence de particularisme local, un penchant aussi pour l’uniformité, pour une sorte d’ordre plus apparent que réel, qui consiste dans la similitude des contours extérieurs, une conception bizarre et très inexacte de la justice qui la confond avec l’absolue égalité, tout cela incline le Français au monopole, car c’est par le monopole seulement qu’on peut obtenir ces prétendus avantages, aux dépens de biens beaucoup plus réels et plus importans : l’activité, la diversité, le progrès, le bas prix de revient. La jalousie des pouvoirs publics à l’endroit des sociétés libres et le goût du monopole sont les deux fâcheuses conditions morales où se trouve la France pour les entreprises d’utilité générale.

Il serait superflu de se livrer à des réflexions plus prolongées sur le premier mode d’intervention de l’état en matière de travaux publics, la réglementation. Le débat véritable, le plus contesté, porte surtout sur les deux autres modes : la participation pécuniaire de l’état aux travaux, et la gestion directe des travaux et des services par l’état.

Cette question, si grave pour tout l’ensemble de la civilisation, peut être étudiée, soit au point de vue historique, soit au point de vue théorique. Historiquement, on se trouve en présence de deux pratiques contradictoires : le système de l’Angleterre et des États-Unis d’Amérique, et le système continental européen, ou plus exactement le système allemand. Dans le premier, c’est aux particuliers, aux corporations, tout au plus aux localités, qu’incombent les grandes œuvres de travaux publics : l’état peut, sinon s’en désintéresser absolument, du moins n’y intervenir que dans une mesure très restreinte, et, en général, plutôt par de simples avances remboursables qui font profiter les entreprises de la supériorité de son crédit que par des subventions, des garanties d’intérêt ou une gestion directe. Le système continental européen, ou plus exactement, disons-nous, le système allemand, fait, au contraire, de l’état le grand organisateur, le grand metteur en œuvre, le grand exploitant de la plupart des travaux publics; les particuliers ou les corporations n’y interviennent que comme des auxiliaires.

On dira peut-être que le choix entre ces deux systèmes dépend du degré et de la nature de civilisation du peuple, de la puissance de l’esprit d’association, de l’accumulation des capitaux dans le pays. Cette observation n’est exacte qu’en partie et au début. Il faut tenir compte, en effet, d’un phénomène nouveau qui atténue toutes ces