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sans des formalités, des délais considérables et des charges coûteuses ; en faisant payer trop cher aux sociétés l’usage de certaines parties du domaine public ; en réglementant, sans utilité, tous les détails de leur gestion; en voulant tout prévoir pour elles, se substituer en quelque sorte à elles pour toute l’organisation et le maniement de leurs entreprises. Le pédantisme administratif a ajouté des obstacles artificiels aux obstacles naturels déjà si nombreux que toute société doit surmonter pour prospérer.

Il est deux écueils surtout que l’état doit éviter dans ce premier mode de son intervention, qui consiste à réglementer les entreprises que l’on ne peut constituer sans son concours ou sa reconnaissance. Il doit s’abstenir de toute espèce de jalousie ou de malveillance à l’endroit des sociétés ou des groupes de capitalistes. Pourquoi serait-il jaloux d’eux? Ils remplissent les tâches auxquelles ils sont aptes et qui encombreraient l’état, le détourneraient de ses fonctions essentielles, ou le ruineraient. Le succès des sociétés ou des groupes de capitalistes entreprenans profite à l’état; il en retire des avantages de toute sorte, pécuniaires et moraux. Un état est d’autant plus florissant, il a d’autant plus de crédit, que les grandes entreprises privées y sont mieux assises. Supposez à ces pays pauvres : la Turquie, l’Espagne, une demi-douzaine ou une douzaine de sociétés privées jouissant d’une prospérité incontestée, vous pouvez être sûrs que l’entraînement de leur exemple transformerait le pays en un quart de siècle. Les contrées riches elles-mêmes ne peuvent pas se passer davantage du succès des sociétés privées bien conduites : l’Angleterre et les États-Unis d’Amérique lui doivent beaucoup de leur force.

Malheureusement, l’état moderne jalouse, d’ordinaire, les sociétés libres. On a dit que la démocratie, c’est l’envie; la définition est morose; elle comporte beaucoup de vérité. La jalousie ou la malveillance des pouvoirs publics à l’endroit des capitalistes et de leurs groupemens est un fléau pour un pays, une cause pour lui d’énormes pertes et de lenteur dans son développement. De même qu’un particulier doit, en général, être de bonne humeur pour réussir, de même un état doit être de bonne humeur; sa mauvaise humeur entrave tout. On verra plus loin que l’étroitesse d’esprit et la jalousie des pouvoirs publics ont retardé de quinze ans dans notre France l’établissement des chemins de fer; ce sont les mêmes vices de caractère des mêmes pouvoirs qui font que la France actuelle profite beaucoup moins que l’Angleterre, les États-Unis, l’Allemagne, la Belgique, la Hollande de toutes les découvertes récentes, que les tramways, les téléphones, les entreprises d’électricité, même de gaz, sont moins répandues dans notre riche nation, et à prix beaucoup plus élevé, que partout ailleurs.