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la lumière qui brille au-delà du seuil redoutable. Non-seulement ils ont secouru nos blessés, mais parfois ils ont partagé leur sort, car les balles sont aveugles, et ne reconnurent pas les humbles religieux qui portaient au bras le signe de la neutralité. Plus d’un est tombé qui ne s’est pas relevé, victime offerte en holocauste au Moloch dévorateur que l’on appelle encore le dieu des armées, et dont les Évangiles n’ont même pas prononcé le nom. Pendant nos grandes misères, ils ont été héroïques, ces frères des écoles chrétiennes, qui sont religieux sans être ecclésiastiques, et qui ont reçu à Reims, en 1681, du chanoine J.-B. de La Salle, la règle à laquelle ils sont soumis encore aujourd’hui. C’est un ordre exclusivement français, modeste, persistant, toujours à la peine, rarement à l’honneur, et prêt, en toute circonstance, à se sacrifier pour la patrie. Ils l’ont prouvé, ces pauvres ignorantins, et on aurait dû s’en souvenir avant de fermer les classes où ils enseignaient aux enfans du peuple que le devoir n’est pas un vain mot. Si les municipalités ingrates les ont chassés comme des malfaiteurs, nos soldats les retrouveront près d’eux lorsque les canons parleront de nouveau ; ils appartiennent à la charité et rendent volontiers le bien pour le mal ; ils se sont donnés à notre Croix rouge et ont réclamé l’honneur de la servir.

Au mois de juillet 1879, le duc de Nemours, qui était alors président du conseil central de la Société de secours aux blessés, s’adressa au frère Irlide, supérieur-général des frères de la doctrine chrétienne, et lui demanda combien, en cas de guerre, il pourrait mettre d’hommes à la disposition de la Croix rouge. Le supérieur répondit : « c’est un grand honneur que la Société de secours aux blessés nous fait, Monseigneur, en nous ouvrant ses rangs; aussi n’est-ce pas seulement mon adhésion empressée, mais encore mes plus vifs remercîmens que j’ose vous prier de lui transmettre.» Puis, désignant l’emplacement des différens établissemens des frères, indiquant le nombre de ceux-ci, réservant le service des écoles, qui est le but même de l’institution, il déclare qu’un millier de brancardiers environ répondront au premier appel. Ce sera le bataillon sacré de la bienfaisance et de l’abnégation; les brancardiers laïques n’auront qu’à les suivre pour être toujours au bon endroit. Si l’émulation saisit les uns et les autres, si quelque rivalité s’élève à qui fera le mieux, il ne faudra pas s’en plaindre. Dans la production des œuvres de dévoûment, comme dans la production des œuvres industrielles, la concurrence a du bon.

Si l’on s’est assuré d’un corps de brancardiers dont les cadres, formés par les frères de la doctrine chrétienne, seront rapidement remplis, on est certain de voir accourir dans les ambulances les sœurs de Saint-Vincent-de-Paul et des autres congrégations hospitalières; mais, quel que soit leur nombre, elles ne pourront répondre