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de tant de rencontres malheureuses pour nos armes, beaucoup n’étaient point encore guéris de leurs blessures et ne pouvaient, sans danger pour eux-mêmes, être mêlés à leurs camarades valides que les trains de chemins de fer avaient reconduits en frontière de France. La société sollicita et reçut la mission de ramener dans la mère patrie ceux qui avaient offert leur vie pour elle sans parvenir à la sauver. Les délégués de la société firent d’abord une sorte de voyage d’enquête : ils parcoururent les villes, les forteresses où les Français avaient été internés, et ils y constatèrent la présence de 8,768 blessés et malades. En cette circonstance, l’Allemagne fut très courtoise ; les médecins, les aumôniers, les mandataires de la société, les infirmiers munis de vêtemens, de chaussures, de médicamens trouvèrent partout, dans les régions occupées, comme dans les pays de terre germanique, toute facilité pour accomplir leur devoir. L’évacuation fut lente, il ne pouvait en être autrement; la plupart des administrations de chemins de fer n’avaient point encore repris leurs services réguliers, beaucoup de trains étaient réquisitionnés pour le retour des troupes allemandes, les villes où gisaient nos blessés étaient éloignées les unes des autres : aussi ce ne fut que le 16 août 1871 que le dernier train convoyé par la Société de secours, composé de 25 wagons-lits à 12 places, de 1 wagon-pharmacie, de 2 wagons-cuisine et de 3 wagons-magasin entra dans la gare de Lille. Pendant qu’elle ramenait au pays les blessés restés en Allemagne, elle avait reconduit sur tous les points de la France ceux qu’elle soignait à Paris au moment de la signature de l’armistice et qui s’élevaient au chiffre de 8,274.

Ainsi l’on avait ramassé les blessés sur les champs de bataille de la guerre étrangère et de la guerre civile, on les avait soignés dans les ambulances et dans les hôpitaux; ceux que gardaient encore les lazarets d’Allemagne avaient été rapatriés ; on avait fait tout son devoir, et cependant notre Société de secours, — notre Croix rouge, — s’imposa une nouvelle tâche, elle pensa aux morts.


Ceux qui pieusement sont morts pour la patrie
Ont droit qu’à leur cercueil la foule vienne et prie.


Elle s’en souvint et regarda du côté des pays de captivité où tant de nos compatriotes dormaient pour toujours. Elle voulut honorer leur mémoire et leur donner un tombeau. Elle nomma une commission, vota une somme de 50,000 francs et se mit en rapport à cet égard avec le ministre de la guerre, qui offrit spontanément de concourir pour une somme égale à cet acte sacré. La Société était sur le point d’entamer des négociations avec le gouvernement allemand, lorsqu’elle apprit que deux comités, déjà organisés dans une intention analogue,