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et s’en vengea en publiant un pamphlet contre « la bande Flavigny, Beaufort et Chenu. » Il n’en fut que cela ; à cette époque, l’insulte était le pain quotidien offert aux honnêtes gens. Celui qui le remplaça, comprenant que le comte de Beaufort était sur le point de licencier la Société dont les services étaient fort appréciés par les fédérés blessés, accepta de n’exercer qu’un contrôle purement nominal : c’est ce qu’il avait de mieux à faire.

Le 25 avril, pendant une suspension d’armes accordée par les chefs de l’armée française, les voitures de la Société allèrent à Neuilly chercher les malades, les vieillards, qui, depuis quinze jours réfugiés dans les caves, mouraient sans secours et sans pain. J’ai assisté à cette évacuation, et ce n’est pas sans émotion que j’ai vu quatre-vingts fillettes incurables, impotentes, se traînant à l’aide de leurs béquilles, portées par les sœurs de charité appartenant à la Maison des jeunes infirmes, se rendre au Palais de l’Industrie, où elles purent apaiser leur faim avant d’être dirigées sur un couvent de la rue de Reuilly qui leur avait offert asile.

Non-seulement la Société sauvait tous ceux qu’elle parvenait à recueillir, mais elle vint en aide à la caisse vide des hôpitaux militaires, lui prêta 40,000 francs, et lui démontra de la sorte que parfois les associations particulières peuvent être utiles aux administrations de l’état. Il n’est pas jusqu’à la commune qui ne sentît le bienfait de la convention de Genève, car elle y adhéra officiellement le 13 mai. C’était une bonne fortune pour le comte de Beaufort qui tout de suite en profita pour réclamer le droit d’envoyer du linge, des vêtemens, du matériel aux ambulances de Saint-Denis. Un événement terrible, dû à l’imprudence, et que la commune attribua naturellement aux menées versaillaises, épouvanta Paris. La cartoucherie Rapp sauta le 17 mai, au lendemain du jour où la colonne de la Grande Armée, renversée par la révolte, semblait offerte en hommage aux Allemands campés sous nos murs. Là encore ce furent les voitures de la Société qui arrivèrent les premières pour ramasser et transporter à la grande ambulance du Cours-la-Reine deux cents personnes blessées par l’explosion.

Le dénoûment approchait, si ardemment attendu, si lent à se produire. Le dimanche 21 mai, pendant que sir Richard Wallace rendait visite au comte de Beaufort et approuvait l’attitude de la société pendant ces jours néfastes, le commandant Trêves, guidé par Ducatel, franchissait les remparts démantelés et guidait les premières troupes qui pénétrèrent dans Paris. Alors commença cette longue bataille qui devait accumuler tant de ruines. Les baraquemens du Gours-la-Reine étaient pris entre deux feux: duel d’artillerie entre le Trocadéro, occupé par une division du corps d’armée du général Douai, et la terrasse des Tuileries, appuyée sur la barricade