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Qu’en penserons-nous cependant? Un peu de bien, beaucoup de mal ; et qu’en concevrons-nous? Quelques espérances et de nombreuses craintes. Assurément, c’est bien fait à eux d’avoir attaqué le naturalisme, le mauvais naturalisme, celui qui s’étale aussi largement et impudemment dans le Rêve, comme on le faisait remarquer, que dans Pot-Bouille, ou dans Nana. Même contre un autre naturalisme, celui qui pénètre plus profondément au cœur des choses, à la façon du naturalisme anglais ou russe, mais qui cependant se limite lui-même à l’observation de la réalité, peut-être ont-ils encore raison. En effet, puisqu’il se restreint à l’imitation de la chose vécue, c’est-à-dire vue ou éprouvée, et qu’il s’enferme dans le présent, on peut reprocher à ce naturalisme d’enlever arbitrairement à l’artiste toute la matière de l’histoire, et toute celle du rêve ; Cependant, si nous ne sommes pas seulement des corps, nous ne sommes pas non plus les seuls hommes, les premiers qui aient vécu, qui aient senti, qui aient pensée mais nous avons derrière nous toute une humanité qui, pour échapper à l’observation directe, n’en est que plus intéressante à connaître et à étudier. On n’a guère vu de grand poète qui n’eût les yeux tournés vers le passé. Encore moins en a-t-on vu qui ne se crût de droit d’ajouter sa personne à son œuvre, son rêve à la réalité, d’inventer autant que d’imiter, de ne se servir enfin de la nature que pour la corriger, la compléter ou l’idéaliser. Le Symbolisme même a ses droits ou ses titres, puisqu’il a ses beautés, comme Dante, par exemple, et Pétrarque, l’ont autrefois prouvé, je pense.

Mais encore faut-il bien prendre garde que, s’il y a quelque chose au-delà de la nature, cependant nous ne saurions l’exprimer qu’avec des moyens qui sont de la nature :


… this is an art
Wich does mend nature, — change it rather — but
The art itself is nature…

SHAKSPEARE (le Conte d’hiver, IV, 3).


et, de ces moyens de corriger, d’améliorer ou de transformer la nature, il n’y a que l’observation qui puisse nous rendre maîtres. C’est ce que nos jeunes gens. Symbolistes ou Décadens, paraissent avoir complètement oublié, si même ils l’ont jamais su, je veux dire s’ils n’ont pas cru que l’art consiste à sortir de la nature. Hoffmann, Edgar Poë, Baudelaire l’ont ignoré, oublié, ou méconnu comme eux, et je doute, malheureusement pour eux, qu’il puisse y avoir une autre erreur plus grave. L’imitation de la nature, qui n’est pas le tout de l’art, en est au moins le commencement, par suite la condition première et nécessaire, le support, si l’on aime mieux ; et, en ce sens, il est vrai de