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Financiers afpidis se livrèrent à de profonds et laborieux calculs; ils mirent en balance ce que rapportait, bon an mal an, le pillage des caravanes et les avantages d’un revenu fixe et assuré. En février 1881, le traité fut signé par une diète ou djirga, représentant toutes les tribus de Khaiber. Le gouvernement britannique reconnaissait l’indépendance des Afridis, et les Afridis s’engageaient, moyennant une subvention régulière, à protéger les caravanes. « Depuis cet accord, ajoute M. Darmesteter, la terrible passe de Khaiber est plus sûre que les rues de Paris ou de Londres, et les Afridis sont définitivement entrés dans les voies de la civilisation, qui est la substitution de l’exploitation régulière à l’exploitation irrégulière. »

Tout officier de l’armée anglaise chargée de garder la frontière du nord-ouest est astreint à un rude labeur : il est tenu de subir un examen de pouchtou, et, comme le dit M. Darmesteter, « c’est un dur morceau à avaler que le pouchtou et qui fait faire bien des grimaces, même à des officiers de l’Inde, c’est-à-dire aux hommes du monde qui ont le plus d’examens à passer. » M. Darmesteter, qui a le génie des langues, s’est donné le plaisir d’étudier le pouchtou, non pour passer un examen, mais pour arriver à comprendre la poésie populaire des Afghans, qui mettent leur histoire en ballades, et à qui leurs chansons tiennent lieu de gazettes et de journaux. L’Afghanistan a produit de grands poètes, des poètes savans, tels que ce Khouchal-Khan, qui avait appris à la cour du Grand-Mogol les élégances de la poésie indoustani et persane : « Il faut, disait-il, que la fiancée Vérité monte sur son noir palefroi, le voile de la métaphore rabaissé sur son front. Comme anneaux de pieds, donnez-lui les clochettes de l’allitération, et suspendez à son cou un collier de rythme mystérieux. Ajoutez les clignemens d’yeux du sens caché : de pied en cap, que tout son corps soit un parfait mystère ! » Moins savans, moins symboliques, mais plus intéressans peut-être, sont les poètes populaires de Caboul ou de Candahar, fidèles interprètes des sentimens et des passions de leur race, de tout ce qui agite le cœur d’un brigand maigre, à la taille élancée et svelte, au nez en lame de couteau, qui méprise également les gros Ousbegs trapus, devenus sujets du Russe, et les habitans des chaudes plaines de l’Inde, à l’œil noyé de pigment, qui se courbent sous la baguette de l’Anglais.

On apprend, en méditant les romances des Pouchtoun, quelle idée l’Afghan se fait de l’amour, et on découvre que sa poésie érotique ne diffère pas trop de la nôtre. D’un bout du monde à l’autre, il n’y a guère qu’une façon de faire l’amour et d’en parler. — « Hier soir, je me suis promené dans le bazar des tresses noires; j’ai fourragé, comme une abeille, dans la volupté des grenades. J’ai enfoncé mes dents dans le menton de ma tendre amie, j’ai aspiré le parfum de la guirlande de ma reine. Jette un regard sur moi, ma charmante. Le serpent m’a