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dont il ne se départit jamais et qui devait porter sa fortune au chiffre colossal de 250 millions de francs, il achetait à bas prix des terrains à New-York. Son inébranlable confiance dans la grandeur future de sa ville natale fit de lui l’un des hommes les plus opulens du monde. Le revenu de ses acquisitions passait à de nouvelles acquisitions. Observateur attentif, il suivait dans ses évolutions la marche encore hésitante, mais déjà régulière, de la future cité impériale.

Les grandes agglomérations urbaines obéissent en effet à des lois que l’observation nous révèle, et dont la statistique nous permet de constater l’exactitude. Toutes les villes appelées à un grand avenir se développent et s’étendent suivant des règles que les conditions géographiques et géologiques favorisent ou contrarient, qui accélèrent ou retardent leur croissance. Si ces conditions sont favorables, leur accroissement est régulier ; au cas contraire, elles s’ingénient à tourner ou à supprimer l’obstacle. Serrez de près leur histoire, suivez-les dans leurs évolutions à travers les âges, et vous noterez chez toutes une tendance invariable à une orientation particulière. D’instinct elles se tournent vers l’ouest, à moins qu’un obstacle insurmontable, mer, fleuve ou montagne, ne les contraigne à chercher dans une autre direction l’espace nécessaire à leur développement.

Que ce phénomène soit dû, comme nous le pensons, au régime dominant des vents d’ouest, qui, refoulant vers l’est les miasmes délétères, rend les quartiers occidentaux d’une grande ville plus salubres que les quartiers de l’est, le fait n’en est pas moins constant. Paris et Londres nous offrent, en Europe, un exemple frappant de cette loi. Londres, comme Paris, a eu pour berceau sa cité; toutes deux ont promptement rompu cette enceinte trop étroite, et, après quelques tâtonnemens, se sont résolument mises en marche vers l’occident. Le cours de leurs fleuves n’y a été pour rien, car la Seine et la Tamise coulent en sens contraire : la Tamise, de l’ouest à l’est; la Seine, de l’est à l’ouest. Londres a remonté le cours de son fleuve; Paris a descendu au cours du sien. Libres toutes deux d’évoluer dans le sens qui leur conviendrait le mieux, ne rencontrant dans aucune direction d’obstacles à leurs progrès, elles ont toutes deux cheminé dans la même direction, abandonnant au commerce, à l’industrie, aux usines et aux entrepôts les quartiers qui furent leur point de départ, le centre riche et élégant. Le West-End de Londres est actuellement le quartier aristocratique par excellence. La partie orientale de la ville est de plus en plus abandonnée à la population pauvre.

A Paris il en est de même. Depuis quarante ans, la ville semble